Les preuves accumulées dans la mort d’Yves Godard, le père de famille, de sa femme Marie-France et de leurs enfant Camille et Marius sont plus énigmatiques les unes que les autres.
Seuls deux corps ont d’ailleurs été retrouvés. Aucune piste n’a été privilégiée par la justice et le dossier a été refermé. Seul un nouvel élément pourrait permettre de rouvrir l’enquête.
Un aller sans retour
Le 1er septembre 1999, Yves Godard, médecin à Caen, part en voyage en voilier avec ses enfants Camille, 6 ans, et Marius, 4 ans. Un départ qui semble imprévu, puisqu’il a annulé tous ses rendez-vous la veille.
Ils partent du port de Saint-Malo, à bord d’un un bateau de location, théoriquement pour une croisière le long des côtes, jusqu’à Perros-Guirec. Le père de famille annonce au loueur qu’ils rentreront le 5 septembre.
Avant le départ, le médecin a acheté des serpillères et des produits nettoyants qu’il a laissés dans sa voiture, sur le port. La mère et épouse, Marie-France, n’est pas avec eux.
Le lendemain de leur départ, Yves Godard et ses enfants sont contrôlés par la douane en mer. Ils sont aperçus le long des côtes d’Armor jusqu’au 5 septembre.
Ce jour-là, l’annexe pneumatique du Nick – à la dérive le long des côtes du Finistère - est récupérée par un chalutier. Le blouson du médecin et un chéquier à son nom s’y trouvent.
La famille n’étant toujours pas rentrée, les gendarmes décident d’ouvrir une enquête pour disparition inquiétante le 6 septembre. Le lendemain, ils se rendent à Saint-Malo, d’où les Godard sont partis, et découvrent, dans son véhicule – un combi Volkswagen – des traces de sang et des doses de morphine.
Intrigué, les enquêteurs se rendent au domicile d’Yves Godard, à Tilly-sur-Seulles, dans le Calvados. Ils y découvrent là-aussi beaucoup de sang, dans différentes pièces (chambre du couple, salle de bain et salon). Deux jours après, une information judiciaire est ouverte pour homicide volontaire, contre le père de famille.
Pendant ce temps, Marie-France, son épouse, qui n’était pas avec sa famille, est introuvable.
Les premières analyses révèlent que le sang retrouvé dans la voiture est justement le sien. Les enquêteurs pensent alors à la piste du meurtre suivi de la fuite.
Mais les éléments trouvés ensuite viendront les faire douter.
Des preuves éparpillées
Le 16 septembre, un gilet de sauvetage du voilier est retrouvé près de l’île anglaises de Guernesey, au nord-est du lieu où le bateau a été vu pour la dernière fois. Une semaine plus tard, c’est le radeau de survie gonflable du Nick – dont le toit a été découpé - qui est récupéré sur une plage au sud de l’Angleterre. Or, selon les experts, ces deux objets n’ont pas pu être emmenés à ces endroits distincts par la seule force du courant : ils ont probablement été délibérément dispersés.
Des mois plus tard, en janvier 2000, un sac de toile est repêché au large de l’île de Batz, dans le Finistère, soit bien à l’ouest de l’endroit où les autres éléments ont jusque-là été retrouvés. À l’intérieur, des affaires appartenant à toute la famille, y compris Marie-France : permis de conduire des deux adultes, cartes grise des véhicules du couple, chéquiers, affaires du sac à main de la mère de famille, mais aussi un marteau et des jumelles.
Six mois plus tard, en juin 2000, un bateau ramasse dans ses filets un fragment de crâne humain, dans la baie de Saint-Brieuc, tout près de là où le voilier a été aperçu pour la dernière fois. Les pêcheurs décident de le rejeter, mais lorsqu’ils en remontent un nouveau quelques minutes après, ils le conserve. L’expertise ADN démontre que c’est celui de Camille Godard.
L’année suivante, en février 2001, la carte professionnelle du père de la famille disparue est retrouvée sur une plage de l’archipel des Ebihens (Côtes-d’Armor) à l’est de l’endroit de la disparition. D’autres éléments – deux cartes bancaires et des cartes professionnelles– seront retrouvés au même endroit dans les jours qui suivent. Les enquêteurs pensent alors que Yves Godard a fait une halte sur cette plage pour se débarrasser de ses papiers. Mais selon les experts, ils ont été mis à l’eau récemment, et n’ont pas pu être abandonnés en 1999.
Enfin, le 13 novembre 2006, un fémur et un tibia appartenant à Yves Godard sont découverts dans la fosse des Casquets, au large du Finistère, loin, très loin au nord-ouest de là où le bateau a été vu pour la dernière fois et de là où le crâne de Camille a été repêché.
Les enquêteurs s’interrogent. Meurtre ou suicide collectif ? Où est le corps de Marie-France et qu’est-il advenu du jeune Marius ?
une nouvelle théorie
Aucune nouvelle preuve n’est arrivée dans les mains de la justice, mais le reporter Eric Lemasson publie un livre, en 2011, dans lequel il avance une nouvelle théorie pour expliquer la disparition mystérieuse de cette famille.
Selon l’écrivain, le médecin aurait voulu placer son argent dans des paradis fiscaux - notamment les îles anglo-normandes au nord de la France - puis faire croire à son naufrage afin de disparaître des écrans-radars des autorités françaises. Il aurait, pour cela, fait appel à la CDCA (Conférence de défense des commerçants et artisans).
Mais, selon la théorie avancée dans « l’Assassinat du docteur Godard », rien ne se serait passé comme prévu. D’abord, au moment d’annoncer son plan à Marie-France, son épouse, celle-ci aurait eu une réaction négative. Yves Godard l’aurait sans doute alors tuée – accidentellement ou non. Il aurait ensuite exécuté son plan, en partant sur un voilier, mais aurait dû emmener ses enfants, ce qui n’était sans doute pas prévu.
C’est là que tout a dérapé. Selon l’auteur, la CDCA lui aurait en fait volé son argent au lieu de le placer comme prévu. En s’en rendant compte, le médecin aurait tenté d’aller le récupérer, et ce serait fait tuer par des membres de ce réseau.
Une théorie qui n’a pas encore convaincu la justice. Le 14 septembre 2012, un non-lieu est rendu dans cette affaire, face à l’absence de témoignages fiables ou de preuves. En décembre 2015, Marie-France et Marius Godard sont officiellement considérés comme morts.