Entre 1975 et 1979, sept jeunes femmes, âgées de 15 à 26 ans, ont disparu successivement dans l’Yonne.
Dans cette affaire, le mystère ne réside pas dans l’identité du coupable, mais dans ses victimes : seules deux des sept femmes disparues ont été retrouvées.
Elles avaient en commun d’être toutes des enfants de la DDASS et déficientes mentales légères. Elles étaient accueillies par l’APAJH (association de protection des adultes et jeunes handicapées), et leur disparition n’a, dans un premier temps, que peu inquiété.
Il aura fallu plusieurs années, une émission de télévision, la création d’une association et le dévouement d’un gendarme pour qu’une enquête soit menée et que l’affaire soit jugée… trente ans après les faits.
Des disparitions ignorées par la justice
En 1979, Martine Renault, âgée de 16 ans, orpheline et vivant dans une famille d’accueil différente de celle de ses frères et sœurs, disparait. Emile Louis, chauffeur de car employé par l’APAJH, et vivant à Seignelay (Yonne) la transporte régulièrement dans son véhicule. Selon des témoins, la jeune fille aurait expliqué que le chauffeur allait l’emmener voir sa mère.
L'homme est donc soupçonné et entendu par la police, mais faute de preuve, il est relâché et les enquêteurs concluent à une fugue.
En 1981, le corps de Sylvianne Lesage, âgée de 23 ans, est découvert. La jeune fille était élevée chez la compagne d’Emile Louis, qui accueillait des enfants de la DDASS. L’homme est donc soupçonné par la police, d’autant qu’il a été condamné la même année pour attentat à la pudeur sur… des jeunes filles de la DDASS.
Mais Emile Louis nie toute implication. Il sera quand même condamné, puis bénéficiera d'un non-lieu en 1984, entrainant le classement sans suite de cette affaire.
Pendant ces années, peu de personnes s'inquiètent des autres disparitions de jeunes filles dans la région. La principale cause est qu'elles n'avaient pas de parents, et qu'elles ne voyaient que rarement leurs frères et soeurs, ayant été séparées d'eux par la DDASS. Un laps de temps qui a facilité le travail du tueur, Emile Louis.
La détermination du gendarme Jambert
Mais un gendarme commence à se poser des questions. L’adjudant-chef Christian Jambert, qui était déjà chargé d’enquêter sur la mort de Martine Renault, a des doutes sur Emile Louis.
Il fouille et se penche sur les autres disparitions de jeunes filles dans le département, qui ont cours depuis 1977. Le gendarme Jambert soupçonne Emile Louis d’y être lié. De par son métier, il a effectivement été en contact régulier avec chacune des filles.
En 1984, le gendarme Jambert rend à la justice un rapport sur ses soupçons. Faute de preuve, il restera sans suite, mais le procureur demande tout de même à l'enquêteur de poursuivre son travail.
Ce n’est qu’en 1996 qu’une association dépose plusieurs plaintes pour enlèvement et séquestration – et non pas meurtre, puisqu’aucun corps n’a été retrouvé - soit près de 20 ans après les faits.
Mais la justice refuse d’ouvrir une procédure, à cause de la période de prescription, largement dépassée.
La justice se réveille
En 1997, le gendarme Jambert, toujours sur la piste du tueur, est retrouvé mort. Il s’agit officiellement d’un suicide, même si le rapport d’autopsie révèle plusieurs incohérences, notamment le fait que deux balles, toutes deux décrites par les médecins légistes comme mortelles, aient été retrouvées à des endroits éloignés : l’une dans la tête, l’autre dans le cœur.
Face à l’inaction de la justice, les familles de victimes font appel aux médias et notamment à l’émission de télévision «Perdu de vue».
L’enquête, qui avait jusque-là toujours tourné autour d’Emile Louis, se poursuit donc et, en décembre 2000, les gendarmes se rendent à son domicile de Draguignan (Var), où il a emménagé.
Après lui avoir assuré qu’en raison de la période de prescription, Emile Louis pouvait parler des disparues de l’Yonne sans s’attirer d’ennuis, le tueur avoue. Il a assassiné les sept jeunes filles dans les années 1970.
Il guide même les enquêteurs jusqu’aux corps, dans la région d'Auxerre, mais seules deux victimes seront retrouvées.
Le tueur est alors placé en garde-à-vue et lorsqu’il comprend qu’il devra finalement payer pour ses crimes, il se rétracte et clame son innocence, expliquant que la cause des disparitions est liée à un vaste réseau de proxénétisme qui minait le département à l'époque.
En effet, parallèlement aux disparitions imputées à Emile Louis, d’autres enlèvements de jeunes filles, notamment issues de la DDASS, ont eu lieu dans l’Yonne. Eux étaient liés à la prostitution. L'affaire avait éclaté en 1983, lorsque les époux Dunand ont été arrêtés à Appoigny, à moins de 10 km de là où vivait Emile Louis. Ils étaient à la tête d’un réseau de proxénétisme et de torture, sur des jeunes filles qu’ils enlevaient dans le département.
Malgré cette affaire parallèle, les aveux d’Emile Louis, et l’emplacement correct de deux corps, laissent peu de place au doute.
Après plusieurs rebondissements judiciaires dus à la longue période écoulée entre les faits et le procès, Emile Louis est finalement condamné, en 2004, pour les sept meurtres, à la réclusion criminelle à perpétuité.
Mais cinq des corps n’ont toujours pas été retrouvés, il n’existe aucune arme du crime, ni le moindre témoin.
Au début du mois de juin, trois squelettes ont été découverts à Gurgy, au nord d’Auxerre, dans la zone où Emile Louis sévissait. Mais les corps étaient en fait trois hommes, et avaient plus de cent ans.
Emile Louis est mort en 2013, en emportant dans la tombe le secret de l’emplacement des corps de ses victimes.