En 1972, une jeune fille de 15 ans est retrouvée morte dans une ville minière du Pas-de-Calais. Rapidement, le crime devient le symbole de la lutte des classes, voyant s’affronter deux camps : bourgeois et prolétaires.
Malgré l’implication de chacun, quarante-cinq ans plus tard, il n’y a toujours pas de coupable, et les faits sont prescrits.
Retour sur une affaire aussi médiatique que mystérieuse.
Un crime maquillé ?
Le 6 avril 1972, le corps de Brigitte Dewèvre, 15 ans, est découvert dans un terrain vague. Issue d’une grande fratrie, son père est mineur, comme beaucoup d’hommes de Bruay-en-Artois (Pas-de-Calais). La veille, vers 19h30, elle a quitté son domicile pour se rendre chez sa grand-mère, vivant elle-aussi dans le coron, à moins d’un kilomètre de chez ses parents, où elle passe régulièrement la nuit.
Sur sa route, elle croise deux amis, dont Jean-Pierre Flahaut. Puis elle emprunte un sentier, qui longe le début du quartier bourgeois de la ville et notamment le parc de la maison d’une femme, Monique Mayer. Une témoin assure l’avoir vu vers 19h45, avec un homme portant un col roulé.
Mais la jeune fille n’arrivera jamais chez sa grand-mère. D’après l’autopsie, elle a été étranglée, a priori avec un lien souple qui pourrait être un vêtement ou un foulard, aux alentours de 20h30. La strangulation est la cause exclusive de sa mort. Elle présente des griffures dans le dos, des marques aux poignets et aux chevilles, signes qui impliquent qu’elle a été déplacée. Son corps est sérieusement amoché : elle présente des traces de coups provenant d'un objet tranchant - une hachette ou une serpette selon le médecin légiste - infligés après sa mort.
La jeune fille a été en partie déshabillée, mais elle ne porte aucune trace d’agression sexuelle. Son corps a été dissimulé sous un vieux pneu. Tous ses vêtements ont été retrouvés éparpillés à proximité du lieu, sauf ses lunettes de vue.
Le notaire, coupable idéal
L’enquête se tourne rapidement vers Pierre Leroy, le notaire du village. Sa voiture a été aperçue non loin du lieu du crime. En rentrant chez ses parents, une jeune femme voit en effet la Peugeot 504 blanche vers 20 heures garée devant leur domicile, avec un homme à l’avant. Elle relève sa plaque d’immatriculation, permettant ainsi de retrouver son propriétaire très rapidement.
Les rumeurs en font très rapidement le coupable idéal. Ce trentenaire, célibataire, vivrait une relation avec Monique Mayer, une femme séparée mais toujours marié. On lui prête également une vie nocturne débridée, avec la participation régulière à des parties fines.
Il est entendu par la police quelques jours après les faits mais livre des versions différentes. Le juge d’instruction chargé de l’affaire, Henri Pascal, décide donc de l’inculper, le 13 avril, pour homicide volontaire.
Après plusieurs variantes, Pierre Leroy reconnait avoir passé la soirée chez sa maîtresse Monique Mayer, dont la maison jouxte le chemin où a été découvert le corps. Il avoue même être passé par le lieu précis de la découvert - un sentier - pour rejoindre le domicile de celle-ci, afin de ne pas être vu par les habitants. Mais il nie le meurtre et assure n’avoir rien vu d’inhabituel.
Pour la famille de Brigitte Dewèvre et les habitants du coron, il n’y pas de place au doute : le notaire est coupable. Deux groupes commencent alors à s’opposer, sur fond de lutte des classes. D’un côté, les prolétaires, qui sont persuadés que le crime a été commis par ce riche homme. De l’autre, les membres de la haute société et du Rotary club – dont l’accusé est membre – qui ne l’imaginent pas avoir pu faire une telle chose.
Un mouvement social
À partir de ce moment, le «Comité pour la vérité et la justice» prend vie. Partisan, ne tenant pas compte de la présomption d’innocence, et prenant ses racines dans la politique et la lutte des classes, ce groupe de militants d’extrême gauche cherche presque plus à faire tomber la bourgeoisie qu’à faire éclater la vérité sur l’affaire.
Sous l’impulsion du comité, les mineurs et habitants du village se réunissent quotidiennement, sur le terrain vague, pour réclamer la justice. Un véritable mouvement voit le jour et dépasse largement les frontières de la ville. Le journal de Jean-Paul Sartre, La Cause du peuple, dédie plusieurs articles à l’affaire et à celui qui ne peut qu’être le coupable : le notaire Pierre Leroy.
Mais du côté de la justice, le dossier contre l’accusé est faible. Si le juge Pascal devient un héros dans le coron, il est décrié par ses confrères, notamment pour son non-respect du secret d’instruction ainsi que pour ses prises de positions.
Une première reconstitution a lieu le 27 avril et elle fait vaciller les convictions. La témoin oculaire qui avait vu la victime pour la dernière fois avec un homme à col roulé assure qu’il ne s’agissait pas de Pierre Leroy. Face à l’acharnement de celui qui est renommé par la presse le «petit juge», en raison de sa taille, les avocats du prévenu décident de déposer une requête en suspicion pour le faire dessaisir.
Le 12 juillet, une seconde reconstitution est organisée, et là encore, ça ne colle pas. En refaisant le chemin du notaire, depuis son office jusqu’à chez sa mère, puis sur le parking où sa voiture a été vue et enfin dans le sentier pour se rendre chez sa maitresse, les enquêteurs réalisent qu’il est absolument impossible qu’il ait eu le temps de tuer Brigitte Dewèvre.
On suppose alors qu’il a eu une complice, qui est toute trouvée : Monique Mayer. Cette hypothèse permet ainsi de laisser le temps de tuer la jeune fille et explique les traces d’empoignement aux mains et aux chevilles. D’autant que la maîtresse a également donné plusieurs versions contradictoires de son emploi du temps de ce soir-là. Et, plus troublant, elle a fait passer un mot à son amant, lorsque celui-ci était en garde-à-vue, dans lequel elle évoquait le meurtre.
Retour à la case départ
Entre le 18 et le 20 juillet, le juge Pascal est dessaisi du dossier et le notaire est libéré. Pour la famille de la victime, les habitants du coron et les militants d’extrême gauche, il n’y a qu’une raison à tout cela : Pierre Leroy est protégé par les puissants.
L’affaire est confiée à un juge parisien, qui reprend l’instruction depuis le début, et fait également libérer Monique Mayer. Tout repart de zéro.
Dans son enquête, le nouveau juge remarque une explication qui le fait tiquer : celle de Jean-Pierre Flahaut, l’ami que Brigitte Dewèvre a vu avant de disparaitre.
Les témoignages de cet orphelin de 17 ans ne concordent pas. La police l’interroge donc le 18 avril 1973, plus d’un an après le drame. Il assure rapidement être l’homme au col roulé tant recherché et avoue avoir commis le meurtre. Il explique que c’est en fait une querelle d’amoureux qui a mal tourné : en se disputant, il a poussé la jeune fille, qui est tombée. Après sa chute, elle ne respirait plus. Dans la panique, il a tenté de maquiller l’accident en meurtre sordide.
Mais cela ne correspond pas à la manière dont est morte la jeune fille, puisque le légiste a assuré qu’elle avait été étranglée. Le jeune homme change donc sa version : la jeune fille respirait encore après sa chute, donc il l’a étranglée avec un foulard puis tirée jusque dans les buissons. Il affirme qu’en rentrant, il a trébuché sur les lunettes de la victime et qu’elles sont maintenant cachées chez son frère. Les inspecteurs retrouvent bel et bien des lunettes, et une hachette, mais la famille de la victime ne les reconnait pas.
Il est tout de même placé en détention provisoire, mais lors de la reconstitution qui a lieu en mars 1974, non seulement la témoin oculaire assure qu’il n’est pas l’homme au col roulé, mais il ne parvient pas à déplacer le mannequin qui représente le corps de Brigitte. La jeune fille pesant une cinquantaine de kilos et lui, à peine soixante.
En octobre 1974, un non-lieu est prononcé en faveur de Pierre Leroy et Monique Mayer. Puis, lors de son procès, en juin 1975, Jean-Pierre Flahaut est également relaxé.
Depuis, plus personne ne sera soupçonné dans cette affaire, qui restera irrésolue jusqu’à sa date de prescription, en 2005.
Depuis, un ancien policier de la BAC, et habitant de Bruay-en-Artois, a mené une contre-enquête et affirme, dans un roman, avoir découvert l’identité du tueur. Il ne révèle pas son nom mais assure que celui-ci n’a jamais été inquiété pour les faits, et qu’il a disparu de la ville juste après l’arrestation de Jean-Pierre Flahaut.