Le 5 septembre 2012, quatre personnes sont tuées par balle sur le parking d’une route de montagne : trois membres d’une même famille et un cycliste, qui passait par là.
Le drame a eu lieu sous les yeux des deux fillettes de la famille, alors âgées de 4 et 7 ans. Dans cette affaire, il n’y a aucune certitude. Uniquement des hypothèses qui ne sont toujours pas avérées, cinq ans après les faits.
Des vacances dramatiques
À la toute fin du mois d’août 2012, la famille Al-Hilli, vivant au Royaume-Uni mais originaire d’Irak – la mère a également habité en Suède - vient passer ses vacances en France.
Saad, sa femme Iqbal, la mère de celle-ci, et leurs deux filles Zainab (7 ans) et Zeena (4 ans) se rendent pour la troisième année au Village Camping Europa de Saint-Jorioz, sur les bords du lac d’Annecy (Haute-Savoie).
Ils ont prévu d’y rester une semaine, mais, après seulement deux jours, ils changent d’endroit pour aller dans un autre camping tout proche, le Solitaire du lac. Des témoins affirment que cet imprévu intervient à cause de la présence d’un individu suspect aux abords de leur endroit de villégiature habituel, mais rien n’est avéré
Malheureusement, la famille, dont le retour au Royaume-Uni est prévu le 7 septembre, ne rentrera pas au complet.
Le 5 septembre 2012, William Brett Martin, un britannique ancien membre de la Royal Air Force, parcourt en vélo le chemin de la Combe d’Ire, une zone dépendant de la commune de Chevaline, au sud du lac d’Annecy. Vers 15h50, il arrive à la hauteur d’un parking, qui longe la route forestière sur laquelle il se trouve.
Une petite fille titube, puis tombe, à quelques mètres de lui.
Croyant à un accident de la route, il se précipite sur les lieux. Mais sur le parking, il fait face à l’horreur. Un cycliste est couché au sol, immobile. À côté, une BMW, dont le moteur tourne encore. En s’approchant, le témoin découvre que le conducteur, un homme, a «quelques trous» dans la tête et le corps, comme il l’expliquera en ses termes plus tard, lors d’une conférence de presse.
Il casse le carreau pour couper le contact, car une odeur de brûlé se dégage. Se faisant, il découvre d’autres corps, eux aussi impactés par des balles.
Gardant quelques réflexes, il place la petite fille, tombée juste devant lui, en position latérale de sécurité. Il déplace également le cycliste, dont le corps est près de la route, craignant qu’il ne se fasse écraser au passage d’un véhicule.
Un crime très professionnel
Rapidement, les enquêteurs arrivent sur place et identifient la famille grâce à leurs passeports. Le cycliste, qui semble être une victime collatérale, est Sylvain Mollier, un habitant de la région, en ballade en vélo alors qu’il était en congé paternité.
Les premières analyses commencent, et ce n’est que 8 heures plus tard, à 23 heures, qu’un vacancier du même camping que les victimes évoque l’existence de leur deuxième fille. Les gendarmes la retrouvent sous les jambes de sa mère, saine et sauve. Elle était restée cachée, immobile et silencieuse, tout ce temps.
Les premières conclusions montrent que chacune des victimes a reçu au moins une balle dans la tête. Le père a en tout été touché à cinq reprises et le cycliste a sept impacts. Les balles ont presque toutes atteint leur cible, laissant penser à un tireur expérimenté.
Les analyses balistiques révèlent que toutes les victimes ont été touchées par la même arme, un pistolet automatique qui était utilisé par l’armée suisse au début du 20e siècle. Au vu du nombre de balles et de ce que contient le chargeur de l’arme, le tireur a dû recharger deux fois. Cette arme de collection, venant de la Suisse toute proche, peut laisser penser que le tueur est originaire de la région. Mais là encore, les enquêteurs n’ont aucune certitude.
Et ils ne parviennent pas non plus à savoir - élément pourtant primordial - qui a reçu les premières balles, et donc qui était visé par cette attaque.
Deux ADN différents de ceux des victimes sont retrouvés sur les lieux du crime. Jusqu’ici, ils n’ont été recoupés avec aucune identité.
Si les deux fillettes de la famille Al-Hilli sont sorties vivante de cette tuerie, ce n’est pas par bonté d’âme de l'agresseur. La plus âgée, Zainab, a en effet a été touchée d’une balle dans l’épaule et frappée si fort à la tête que son crâne a été fracturé. Quant à la plus jeune, le tueur ne l’a tout simplement pas trouvée.
L’enquête a été ouverte en France, mais avec la collaboration de la Grande-Bretagne, pour que les gendarmes puissent perquisitionner la maison des victimes en Angleterre et interroger leurs proches.
Le motard, une fausse piste
Pour avancer dans ses investigations, la police tente d’interroger les deux témoins encore en vie : Zeena et Zainab. Mais de sa cachette, la plus jeune de la famille n’a rien pu voir. Quant à l’aînée, gravement blessée, elle ne donne que peu de détails, mais ne dénombre la présence que d’un seul « méchant ». Les analyses balistiques vont également dans ce sens.
Les enquêteurs se tournent également vers le cycliste arrivé sur les lieux du crime en premier. Il raconte qu’il a été doublé par un autre cycliste, par un 4x4 puis par une moto. C’est vers ce motard que les soupçons vont se tourner.
Deux gardes de l’Office national des forêts ont justement interpellé un motard le 5 septembre, qui se trouvait sur un chemin, non loin des lieux du drame, où les véhicules ne sont pas autorisés. Ils en dressent le portrait-robot.
À force de recherches, les enquêteurs pensent avoir trouver le suspect : un ancien policier municipal, collectionneur d’armes et vivant dans le département. Il ressemble au portrait-robot mais son ADN ne correspond pas à celui trouvé sur les lieux du crime. L'homme est relâché, non sans que son identité ait été rendue publique, lui faisant perdre son travail.
Grâce au bornage de 4.000 téléphones portables, le véritable motard passé par là le jour du drame sera finalement retrouvé en 2015. Mais là encore, c’est la déception : son profil ne correspond pas, et le juge d’instruction estime qu’il n’est pas impliqué dans les meurtres.
Des hypothèses, mais pas de preuves
Une fois la piste du motard écartée, peu d’éléments concrets permettent ne serait-ce que de s’approcher du dénouement de l’affaire. Les hypothèses s’accumulent, mais les preuves manquent pour les étayer.
Une coïncidence troublante a été connue des enquêteurs français deux ans après les faits : le jour même du drame, le 5 septembre 2012, l’ex-mari de Iqbal al-Hilli, qui vivait aux États-Unis, est mort subitement, dans la rue, d’une crise cardiaque. Un premier mariage que la mère de famille avait gardé secret. La police choisit d’en faire un simple hasard.
Reste tout de même la thèse du différend familial du côté de Saad. Certes, son frère s’est rendu de lui-même au commissariat dès le lendemain du crime, mais depuis 2010, les deux hommes vivaient une relation compliquée. La fortune de leur père était gérée depuis des années par le frère aîné, Zaid. Mais en voulant l’aider, Saad s’est rendu compte que son frère voulait écarter de l’argent du testament.
Au décès de leur père, en août 2011, la brouille entre les deux frères s’intensifie. Ils ne se parlent plus, et il semblerait que Saad se soit prémuni contre son frère : il enregistre leurs conversations, conserve des documents, il a même téléchargé un logiciel sur son portable pour qu’on le retrouve en cas de disparition. Le frère est placé en garde-à-vue en juin 2013, mais il est relâché, faute de preuve. D’autant qu’il se trouvait en Grande-Bretagne au moment des faits.
Au cours de ses investigations, la police s’est également orientée vers la piste de l’espionnage industriel – Saad Al-Hilli était ingénieur en fabrication de microsatellites - celle du conflit irakien, ou celle prenant le contre-pied des autres, selon laquelle c’était en fait le cycliste Sylvain Mollier qui était la cible, la famille Al-Hilli n’étant qu’une victime collatérale.
Des indices – trop minces pour offrir des certitudes – viennent étayer cette thèse. Un ancien légionnaire, qui connaissait Sylvain Mollier, pourrait être l’auteur du crime. Interrogé comme simple témoin en 2012, il s’est donné la mort trois ans plus tard, expliquant dans une lettre ne plus supporter les soupçons qui ont pesé quelques temps sur lui au début de l’enquête. Une mort synonyme d’aveux ? Cela étayerait en tous cas l’hypothèse d’un tueur local, envisagée par les enquêteurs en raison de l’arme utilisée, très rare et provenant de Suisse. Mais l’ADN de l’ancien militaire ne se trouvait pas parmi ceux découverts sur les lieux du crime.
À ce jour, le mystère reste total.