Suite de notre série sur la fin de la force Barkhane. Les forces françaises au Mali doivent se battre contre un ennemi souvent invisible dans le désert, où les groupes armés se cachent. Mais elles doivent aussi lutter contre les éléments naturels. La chaleur y est épouvantable : entre 47 et 52 degrés à l'ombre, chaque jour. Notre reporter Antoine Estève nous explique comment l'eau est acheminée sur place, et comment les soldats parviennent à accomplir leurs missions avec des coups de chaleur très fréquents.
La carlingue vibre. Les quatre turbopropulseurs géants de 4300 chevaux grondent. Le bruit est assourdissant, malgré les bouchons d'oreilles, qui atténuent légèrement la fureur des hélices. Un tout petit hublot nous permet de voir les grandes ailes grises, les moteurs, et le désert qui défile en dessous. L’Hercules C130 vole très bas, à plus de 350 km/h, pour éviter d’être localisé, dans cette région contrôlée par des groupes terroristes. Je suis seul avec l'équipage. Quatre militaires d'un régiment de transport de l'Est de la France. Deux pilotes et deux navigants chargés de la cargaison et de la sécurité à bord. Cet énorme avion-cargo de fabrication américaine est utilisé dans le soutien aux forces. Parachutages de vivres et de munitions, transports de troupes, liaisons lointaines entre les différentes bases du Sahel : les missions sont multiples, et quotidiennes. Les pneus des trains d'atterrissage absorbent le poids du gros porteur : nous nous posons en douceur sur le sable ocre, en plein milieu du désert, à quelques centaines de mètres d’un petit camp de la force Barkhane.
7 tonnes de bouteilles d'eau, un ravitaillement vital
L'Hercules C130, parti de Niamey - au Niger voisin - ce matin, achemine un ravitaillement vital pour les 200 militaires qui vivent ici : 7 tonnes de bouteilles d’eau, pour tous les soldats en mission dans la région des trois frontières, au sud des montagnes d’Hombori. Des militaires attendent la cargaison à côté d'un gros camion blindé. La porte métallique arrière descend lentement, une trentaine de soldats s'affairent, et commencent à préparer le déchargement. Il faut faire vite, pour ne pas risquer d’être repéré par les groupes armés terroristes qui se cachent dans la région. Un véhicule armé monte la garde de l’autre côté de la piste improvisée. La précieuse cargaison passe de bras en bras jusqu'au container. Les bouteilles en plastique proviennent de la grande base de Niamey au Niger. L'eau - achetée quelques centimes le litre à une compagnie locale - est conditionnée en packs de six bouteilles. On la transporte dans des camions jusqu’à un hangar de stockage provisoire à côté du campement français.Sur le terrain des opérations, l’eau est un fardeau. Il faut la transporter partout, tout le temps. C'est lourd, et très encombrant.
Quelques heures après la livraison des packs d'eau, nous suivons une patrouille de trois heures, par 47 degrés, dans le désert Malien. Chaque soldat embarque au moins quatre bouteilles d'eau. Et parfois, ça ne suffit pas. Sur cette petite mission de reconnaissance dans un village proche, un homme du 2e RIMA tombe juste à côté de nous. Il est victime d’un gros coup de chaleur. Les deux secouristes militaires de la section interviennent tout de suite. La température de son corps est mesurée à 41,5 degrés. Au dessus, si rien n’est fait, c’est la mort, en quelques minutes. L’infirmier militaire installe une perfusion portative. Il faut réhydrater le soldat très rapidement. Et chaque minute passée ici met en danger tout le groupe. Il faut éviter «l'effet tunnel», rester trop longtemps au même endroit, à découvert, et risquer d'être pris dans une embuscade. Une dizaine de soldats se déploient autour de l'équipe de soins et surveillent à 360 degrés.Le jeune militaire en hyperthermie n’a pas pris assez d’eau avec lui ce matin. Deux litres seulement. Il s’est retrouvé déshydraté pendant la marche, sous le soleil brûlant. Le coup de chaleur peut avoir des conséquences dramatiques. Séquelles neurologiques, syncope, chute de tension, ou arrêt cardiaque. Le soldat blessé repart lentement, épaulé par deux de ses frères d'armes. Il s'en sortira - miraculeusement - avec un coup de fatigue.
Dans la fournaise du désert Sahélien, chaque militaire de la force Barkhane consomme en moyenne 9 litres d’eau par jour, pour boire, et pour son hygiène corporelle.