Paul Alexander avait 19 mois quand sa mère le confia à une infirmière bénévole qui allait l'emmener en train loin de l'Allemagne nazie et ainsi sauver sa vie d'enfant juif.
A 81 ans, il a décidé d'enfourcher dimanche un vélo depuis Berlin pour se lancer dans un voyage mémorial : reprendre cette route qu'a empruntée en 1939 son «Kindertransport», ces convois organisés par des bénévoles permettant à des milliers d'enfants juifs d'être mis en sûreté au Royaume-Uni. «C'est la route que j'ai empruntée il y a 79 ans, lorsqu'on m'a éloigné de la haine des nazis pour me mettre en sécurité en Angleterre. Je vais de nouveau faire cette route», confie-t-il à l'AFP.
Paul n'a pas hésité lorsqu'il a entendu parler de ce projet de voyage commémoratif.
Réponse à Hitler
«Je me suis dit que c'était ma réponse à Hitler, une manière de me dépasser, à mes yeux et pour le reste du monde, une manière de montrer ma gratitude pour cette vie réussie, pour être devenu un époux heureux, et avoir eu une famille», ajoute-t-il. Cette fois-ci Paul Alexander ne sera pas seul dans cette épreuve. Il sera accompagné de son fils de 34 ans et de son petit-fils de 15 ans.
Pour ce périple de six jours, 39 autres cyclistes prennent dimanche le départ depuis la Friedrichstrasse à Berlin, direction la Liverpool Street à Londres, via les Pays-Bas et une traversée de nuit en ferry. Parmi les participants se trouvent des descendants de ces rescapés et d'autres qui ont simplement voulu soutenir l'action caritative, mise sur pied par l'organisation juive britannique World Jewish Relief (Secours juif mondial) pour récolter des fonds.
A l'époque du nazisme, c'est cette même association qui a eu l'idée, puis organisé la logistique des «Kindertransport», une vaste opération de sauvetage mise en place à la veille et au tout début de la Seconde guerre mondiale. «Nous avons voulu organiser cette course pour rendre hommage au travail incroyable de nos prédécesseurs qui ont sauvé tant de vies», explique Rafi Cooper, porte-parole du World Jewish Relief, un organisme toujours actif, notamment auprès des réfugiés syriens en Europe. «Sans l'héroïsme dont ils ont fait preuve à l'époque, des dizaines de milliers de personnes ne seraient pas en vie aujourd'hui», témoigne le porte-parole.
Célébration de la vie
Après le pogrom du 9 novembre 1938, la Nuit de Cristal, des responsables religieux protestants, juifs et quakers parviennent à convaincre le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain, d'accueillir des enfants non accompagnés ou orphelins. Le premier Kindertransport arrive le 2 décembre 1938 dans le port de Harwich, au Royaume-Uni, avec à son bord 196 enfants sauvés d'un orphelinat juif de Berlin qui avait été incendié pendant la Nuit de Cristal. En 18 mois, 10.000 enfants venus d'Allemagne, d'Autriche puis de Tchécoslovaquie et de Pologne sont exfiltrés.
Les plus petits étaient placés dans des familles d'accueil. Les adolescents de e plus de 16 ans recevaient une aide pour trouver une formation ou un travail. Le dernier convoi quitta le port néerlandais de Ymuiden, à bord du bateau «Bodegraven», un jour avant la reddition des Pays-Bas.
Les parents ont laissé partir leurs enfants avec des étrangers, sans savoir s'ils les reverraient un jour. La mère d'Alexander, qui avait fait deux fausses couches avant de réussir à avoir son fils, a vécu ce choix comme une torture. «Vous imaginez bien que se séparer de son enfant d'un an et huit mois est un déchirement», dit le vieil homme.
Ce qu'elle ne savait pas à l'époque, c'est qu'ils allaient bientôt être tous réunis pour le meilleur. Son père réussit à le rejoindre en Grande-Bretagne treize jours plus tard, sa mère arrive le 1er septembre 1939, le jour où les Nazis envahissent la Pologne et déclarent la guerre. La famille Alexander échappe à l'Holocauste et au sort réservé à six millions des leurs.
Paul Alexander est devenu avocat et s'est marié à une Israélienne habitant à Londres. Il a aujourd'hui trois enfants et neuf petits-enfants et s'est installé en Israël. Et il se lance dimanche dans ce qu'il appelle une «course de la victoire». «J'ai pensé que c'était une manière particulièrement symbolique et émouvante de célébrer ma vie».