Doublement médaillée en argent en épée, en individuel et par équipe, aux Jeux olympiques de Paris 2024, l'escrimeuse française Auriane Mallo-Breton s'est confiée à CNEWS.
Une (vice) championne hors pair. Quelques jours après avoir remporté l'argent en individuel et par équipe aux Jeux olympiques de Paris 2024, l'épéiste française Auriane Mallo-Breton est revenue pour CNEWS sur cette semaine de folie.
Félicitations pour ces deux belles médailles ! Arrivez-vous à redescendre et à réaliser ce que vous avez accompli chez vous, à Paris et devant votre public ?
«C'était incroyable, il y a eu des émotions dans tous les sens dans ce Grand Palais où les spectateurs étaient en folie. On savait que ça allait être quelque chose de fort d'être à domicile et de combattre dans ce lieu, mais on n'avait pas mesuré l'impact de ce soutien. Quand il y a autant de gens qui crient ton nom et te poussent quand c'est compliqué, tu te sens portée».
Justement, sur ces Jeux, les sites des compétitions choisis à Paris sont magnifiques. Ce n'était pas trop de pression de concourir dans cet écrin ?
«C'est un lieu vraiment magique, j'avais l'impression d'être une enfant qui profitait. Quand j'étais en chambre d'appel (salle où les escrimeurs patientent avant le combat) je me répétais qu'il fallait que je prenne du plaisir, parce que ce sont des minutes que tu ne revis jamais. C'est vrai qu'au début des combats, lorsque je n'avais pas encore mis de touche, je me répétais : "le public attend pour célébrer, ce serait cool que tu te bouges". Je sentais que je montais en puissance au fil des matchs et le public me donnait tellement de force. À l'inverse, je voyais que ce soutien tassait mes adversaires, et qu'il ne pouvait rien m'arriver».
Vos proches sont venus vous supporter ? Il y avait votre petit garçon en tribunes ?
«Oui, c'était incroyable de pouvoir vivre ça avec lui et avec toute ma famille. Il y avait mes parents, mes frères, mon mari, mes beaux-parents. Savoir que j'ai pu faire vivre ces émotions à ma famille, c'est hyper cool. Mes parents sont là depuis le début et mes deux frères, qui ont d'ailleurs aussi fait de l'escrime, m'ont soutenue. C'était un beau moment et une sorte de remerciement pour toutes les heures passées dans les gymnases. Cette médaille est pour eux et pour mon entraîneur Rémy Delhomme, qui me suit depuis mes 10 ans et qui, en tant qu'athlète, avait tout remporté mais sans jamais pouvoir participer aux Jeux».
En finale vous êtes opposée à l'actuelle numéro 1 de la discipline, la Hongkongaise Vivian Kong. Vous perdez durant la mort subite, éprouvez-vous des regrets sur ce match ?
«Le match a été à l'inverse de toute ma journée, où je me suis souvent retrouvée menée. Là, en finale, les touches sont arrivées toutes seules. J'allumais partout au départ. C'est peut-être ça qui m'a un peu sorti de mon match car ça semblait "un peu trop facile" et je pense avoir été un peu moins vigilante et avoir été un peu gourmande.
J'ai été un peu moins vigilante dans cette finale
Le truc c'est qu'à l'épée ça tourne assez rapidement. Mon adversaire commence à remettre des touches et moi je me mets à douter. C'est une très grande championne en face. C'est vrai que ça se joue à une touche mais sur mon tableau de 32 (remporté 14-13 face à l'Ukrainienne Dzhoan Feybi Bezhura), ça a tourné en ma faveur. Il faut accepter, mais si on m'avait dit en début de journée que je perdrais en finale à la mort subite, j'aurais signé. J'ai tout donné. La nuit suivante, j'ai refait 10 fois la mort subite, mais je n'ai pas de regrets. C'est sur que j'aurais pu être championne olympique, mais avec le recul, je suis très heureuse d'être vice-championne».
Ce qu'il faut mesurer c'est également la difficulté pour se qualifier aux JO. Comment se déroule l'année de préparation avant un tel événement ?
«La qualification est réellement très dure, puisqu'il n'y a que trois filles qui sont qualifiées pour prendre part à l'individuel. Sur les coupes du monde, on part à 12 filles pour 250 participantes au total. Là, sur ces Jeux, nous étions 36 au départ. Le niveau est hyper dense et se qualifier pour ces JOP 2024 était une étape compliquée. Il y a d'ailleurs eu des filles qui sont restées sur le carreau car il n'y avait pas de quota par équipe, donc il faut remettre les choses dans le contexte».
«Depuis 1 an et demi j'avais mis ma carrière de kinésithérapeute entre parenthèses. Avant, je bénéficiais d'une convention d'insertion professionnelle qui permet aux athlètes de travailler et de pouvoir continuer à s'entraîner. Et c'est après la naissance de mon fils, en 2021, que j'ai réussi à me faire accompagner par mon sponsor, l'équipe Carrefour, et obtenir un contrat sportif de haut niveau avec mon club grâce à l'aide de l'Agence Nationale du Sport (ANS). À partir de là, j'étais concentrée à 100% sur l'escrime, dès janvier 2023. Je m'entraînais deux fois par jour, le matin et l'après-midi et je pouvais me focaliser sur les temps de récupération et le travail invisible. Au total, je m'entraînais 9 fois par semaine, avec une demi-journée complète de récupération, en combinant les séances d'assaut, de musculation et de soin».
Vous décrochez l'argent en équipe, aux côtés de Marie-Florence Candassamy, Coraline Vitalis et Alexandra Louis-Marie seulement trois jours après votre finale en individuel. Comment avez-vous basculé dans ce second match ?
«Avec les cinq coupes du monde que l'on dispute dans l'année, on a l'habitude de basculer rapidement entre les épreuves en individuel et par équipe. Je trouve que nous avons cette chance dans notre sport de faire des matchs seules, mais de combattre ensemble également. C'est vraiment un travail collectif puisque dans les relais, si tu es un peu en dedans, ta coéquipière te remotive et essaie de rattraper ton retard».
Les défaites c'est toujours plus compliqué, car chacune réagit à sa manière, mais quand on gagne ensemble, les émotions sont décuplées. Surtout qu'on se connaît très bien avec Marie-Flo (Marie-Florence Candassamy) et Coraline (Vitalis). Nous sommes arrivées à l'Insep en même temps, et ça fait 12 ans qu'on s'entraîne ensemble. On sait quand l'une n'est pas bien, on capte tout de suite les petits détails. Alexandra (Louis-Marie) est arrivée un peu plus tard, mais on se connaît aussi parfaitement».
Vous êtes-vous entourée d'un préparateur mental avant ces Jeux ?
«Oui, j'ai travaillé avec une préparatrice mentale qui s'appelle Anaëlle Malherbe. Elle m'avait ponctuellement suivie il y a quelques années et c'est vraiment l'an dernier, à un an de l'échéance, que j'ai repris les séances avec elle. Dès le premier échange elle a tapé directement là où ça faisait mal, et j'ai beaucoup pleuré. Et puis nous avons bâti des bases solides».
Je me sentais très forte mentalement
«J'ai montré que j'étais forte mentalement sur les deux jours de compétition en individuel. Concrètement, je ne me sentais pas "escrimement" parlant bien, mais dans la tête j'étais tellement solide que ça a compensé. En équipe, j'avais encore mal partout (rires), mais tellement envie d'aller chercher une médaille avec les filles que je me suis dit : "Auriane tu n'as mal nulle part, c'est simplement ta tête qui contrôle tout", et là tu donnes tout ce qu'il te reste pour être la plus performante possible».
Après deux médailles d'argent à Paris, on vous souhaite l'or pour les prochains Jeux à Los Angeles dans quatre ans ?
«Dans l'immédiat, je vais faire une petite pause, et prendre du temps pour moi. J'ai envie de reprendre le travail aussi, parce que ça me manque. Je vais exercer dans un cabinet du sport et être référente santé de la femme, et c'est vraiment quelque chose qui me plaît. J'ai aussi un projet de deuxième enfant. Ensuite, je sais que je suis capable de revenir, surtout que l'échéance est dans quatre ans».
«L'avantage de l'épée est que c'est un sport à maturité tardive. Les meilleures du circuit ont autour ou plus de 30 ans, donc c'est clairement un objectif atteignable. Je me laisse un peu de temps, mais je sais que si je veux repartir pour Los Angeles, je suis capable de le faire».