Décidé par le président de la République, lundi 16 mars, pour ralentir et combattre l'épidémie de coronavirus, le confinement de la population inaugure une période inédite d'isolement forcé pour tous les Français. Avec à la clé des risques psychiques multipliés. Le décryptage de la psychologue et spécialiste des traumatismes psychiques, Hélène Romano.
Bien qu’il n’ait pas prononcé le mot, Emmanuel Macron a annoncé, lundi 16 mars au soir, une période de confinement de quinze jours minimum afin de lutter contre l’épidémie de coronavirus. Quelles peuvent être les répercussions psychologiques dans la population ?
Je constate tout d’abord que le président de la République a fait attention aux termes employés. Il a également annoncé une période relativement courte, contrairement à ce qui a été décidé dans d’autres pays européens et contrairement à ce que préconisait le conseil scientifique. Quinze jours est une durée entendable pour les Français mais elle est aussi renouvelable.
Pourquoi, d’après-vous, le chef de l'Etat n’a-t-il pas prononcé le mot «confinement» ? Est-ce une façon de ne pas angoisser la population ?
Le mot confinement est un mot très anxiogène. Généralement, on confine les gens qui sont malades, qui risquent de mourir... Donc c’est un mot angoissant. On constate néanmoins qu’Emmanuel Macron a utilisé, à plusieurs reprises, la phrase : «Nous sommes en guerre», qui n’en est pas moins anxiogène.
On remarquera également que plusieurs ministres ont, eux, en revanche bien employé le mot «confinement». L’intention est quoi qu’il en soit la même : celle de dire aux Français de rester chez eux.
Est-ce judicieux justement d'employer le mot «guerre» dans le contexte actuel ?
Je pense que le président de la République savait que ce mot aurait une résonance particulière dans la population. Peut-être pour faire prendre conscience de la dangerosité du virus et de la nécessité de bien respecter les consignes car, avant cela, beaucoup de Français ne les respectaient pas.
D'un point de vue psychologique, contrairement au confinement, la guerre renvoie, elle, à une notion collective. «Confiné», nous sommes seuls. «En guerre», nous sommes ensemble.
Mentalement, quelles peuvent être les conséquences de ces restrictions de déplacements dans la population, selon vous ?
L’impossibilité de voir ses amis, ses proches, sa famille... alors même qu’on a justement besoin de les voir pour se rassurer, ou encore l’incapacité d’aller voir des proches qui sont malades ou qui vont mourir (l'attestation de déplacement mise en place par les autorités prévoit une exception pour les déplacements pour motif familial impérieux et l'assistance aux personnes vulnérables, mais n'enlève pas la contrainte de respecter les consignes sanitaires, NDLR) est d’ores et déjà très difficile à gérer pour les personnes concernées.
Cela va donc immédiatement engendrer des conséquences psychologiques majeures, mais aussi différées dans le temps. A commencer par une grande angoisse de ne pas être libre de ses mouvements, cela dans un pays comme la France où les gens sont en temps normal très libres de leurs mouvements.
Des personnes sont-elles plus à risques que d’autres ?
Les professionnels, dont je fais partie, sont assez inquiets pour les gens qui sont très seuls, très déprimés, parce que pour eux, le risque de passage à l’acte, comme les suicides par exemple, va forcément augmenter.
Les paramètres ne sont pas les mêmes suivant que vous vivez dans un studio exigu à plusieurs ou dans une grande maison avec jardin. Les moins bien lotis vont forcément connaître plus de tensions, de violences, qui vont être très compliquées à gérer.
Chez les gens seuls, très déprimés, le risque de passage à l'acte suicidaire va forcément augmenter
Lorsque des individus vivent vingt-quatre heures sur vingt-quatre les uns sur les autres, qu'ils ont des enfants à gérer et qu'ils doivent en plus télétravailler - cela sans avoir un espace où sortir - au bout d’un moment, ils implosent.
En extérieur, on constate aussi que, dans les files d’attente, c'est de plus en plus l’individu qui prime sur la solidarité et il y a le risque que cela arrive aussi au sein des foyers.
Ces phénomènes ont-ils déjà été observés ?
Oui. On en a d'ailleurs déjà eu un aperçu sur ce navire de croisière (le Diamond Princess, NDLR) où les gens étaient confinés.
Ceux qui avaient la chance d’avoir un balcon s’en sortaient mieux que ceux qui se sont retrouvés coincés dans une cabine sans hublot. Et, dans l'inconscient collectif, le confinement renvoie à une notion très pénible qui est celle de l'incarcération.
Dans l'inconscient collectif, le confinement renvoie à la notion d'incarcération
Une notion d’autant plus angoissante qu’elle est associée à une notion de solitude. C’est très anxiogène. Dans ce contexte, tous les professionnels sont très inquiets d’une montée en puissance des conduites agressives et des suicides.
La période sera beaucoup plus difficile à vivre pour les gens qui sont seuls et malades, mais en famille, ce ne sera pas simple non plus.
Quels conseils pourriez-vous donner aux personnes qui doivent travailler et s’occuper en même temps des enfants, voire leur faire la classe au regard des nombreux dysfonctionnements ?
Encore une fois, la difficulté ne sera pas la même pour une famille qui vit à quatre dans un studio que pour celle qui vit dans une grande maison avec un jardin.
Reste que matérialiser sur un papier, un agenda ou un semainier un programme de façon à organiser la journée - ceci afin de respecter des temps de travail et de loisirs - peut être une bonne solution.
Ce qu’il faudrait aussi surtout éviter, c’est d’avoir pendant des jours et des jours des enfants qui passent leur temps derrière un écran. Et malheureusement c’est ce qui risque d'arriver.
D’où l’importance de s’aménager du temps pour s’occuper des enfants et jouer avec eux. On peut jouer aux cartes, aux jeux de société ce genre de choses... On peut également faire des activités manuelles, du bricolage ou autre, l'idée étant d'avoir des temps de partage avec ses enfants. C'est très important, et autant que faire se peut, de mettre à profit ce temps pour reconstruire une parentalité. Mais cela va nécessiter une inventivité que beaucoup de parents n’ont pas.
Comment justement parler aux enfants dans la période actuelle ?
Il est important de parler même aux tout-petits qui, même s’ils ne comprennent pas, sentent les choses et sont de véritables éponges émotionnelles. Ils sentent l’anxiété des parents et parler permet aussi de libérer les parents eux-mêmes.
Quant aux enfants qui commencent à comprendre les choses, les parents peuvent très bien être honnêtes avec eux et leur dire, avec le bon vocabulaire pour ne pas les angoisser, qu’ils sont inquiets à cause du virus et que c’est pour ça qu’ils doivent rester à la maison, pour qu'ils puissent s’occuper d’eux.
Et pour les plus grands, souvent, ils vont eux-mêmes sur Internet, et peuvent lire tout et n’importe quoi. Il faut veiller à décrypter les choses avec eux, pour les rassurer. On leur explique ce qu’est un virus, on peut leur dire qu’il en existe plusieurs, que parfois ils ne sont pas dangereux mais parfois ils le sont et que c'est pour ça qu'on fait tout pour ralentir et combattre celui que nous connaissons. Bien sûr on adapte son vocabulaire. Il faut les rassurer, leur dire qu’on fait le maximum pour soigner et protéger. On peut dire que les masques sont une panoplie de super-héros.
Comment gérer les disputes qui risquent de se multiplier ?
L’idéal est bien sûr de pouvoir s’isoler avant que ça n’éclate. Mais là aussi, le manque d’espace fait que parfois ce n’est pas possible. Dans ce cas, on peut alors essayer d’écouter de la musique au casque.
Dans un couple, si on s’est dit des mots violents parce qu’on était fatigué et énervé, on peut toujours s’excuser et revenir sur ce qui a été dit.
Dans la mesure du possible, on veille à s'isoler avant qu'une dispute n'éclate
Pareil avec les enfants, où là-aussi, les parents risquent de craquer et encore plus si le confinement est prolongé. Les enfants ont besoin de se dépenser : on peut, à ce moment-là, essayer de pratiquer de l’activité physique, à l'aide de tutos sur Internet.
Mais le drame que les psys redoutent, c’est que beaucoup de parents n’y arrivent pas, soit parce qu’ils n’en ont pas l’envie, soit parce qu'ils n'en ont pas le courage. Ils risquent donc d'abandonner psychiquement leurs enfants.
Quelles seront les conséquences de cet enfermement ? On parle beaucoup d'une hausse des divorces ou d’un baby-boom. Est-ce crédible, selon vous ?
Il y aura probablement plus de bébés avec un pic de natalité observé chez certains couples. C’était d'ailleurs également le cas après les attentats où l'on a observé autant de bébés que de divorces. On s'attend toutefois aussi à une hausse des crises conjugales débouchant sur des séparations et des divorces.
Il faut bien comprendre que le confinement est un contexte très particulier. Alors qu’en temps normal des personnes arrivent à vivre ensemble, là beaucoup vont être exaspérées.
Personnellement, je pense aussi beaucoup à ces jeunes qu’on a appelé la «génération Bataclan», qui, après avoir vécu les attentats, puis le contexte social particulier avec les gilets jaunes, vont en plus devoir vivre un confinement à Paris dans des espaces souvent exigus. Tout cela va faire d’eux, je le crains, des êtres extrêmement anxieux. Les consultations en psychiatrie, psychologie ou pédopsys vont sans doute bondir.
Concernant les plus fragiles, les personnes sujettes aux crises d’angoisse ou suicidaires. Que peuvent-elles faire pour gérer au mieux ?
Il faut parler. Parler par téléphone à leurs proches ou par Skype mais parler. C’est important qu'elles ne restent pas seules par rapport à leur angoisse et à leur peur.
Parler le plus possible avec les plus fragiles
En revanche, parler à un professionnel s’avérera dans la période, plus compliqué, notamment parce que beaucoup de psys libéraux sont en grève. Par ailleurs, dans le contexte actuel, les plus fragiles ne pourront pas non plus être hospitalisés. Et, en tant que professionnels, nous sommes là aussi très inquiets.
Existe-t-il des outils (applis, consultations de psychiatrie par téléphone...) pour que les personnes les plus à risque puissent parler à des professionnels ?
Je dirais d'abord que, pour les gens stressés, et qui, par définition, sont moins inquiets que les anxieux ; il existe tout un tas d’applications pour smartphones, souvent gratuites, pour faire du yoga, pour apprendre à respirer, pour apprendre à être zen.
Ensuite, il existe bien sûr et faute de mieux des services de télémédecine – à condition d’avoir internet – c'est un moindre mal même si, en psychothérapie, il est important d’avoir un contact en face à face.
Les médecins sont assez réticents à ce type de supports mais là il est clair que le contexte est très particulier et que la demande pour ce genre de service va exploser. Des plates-formes de consultation par téléphone sont justement en train de se mettre en place. Mieux vaut ça que rien du tout, mais, en temps normal, la pratique veut que l’humain a besoin d’humain.
Cette période va également s’avérer être très traumatisante pour les victimes de violences conjugales ou d’inceste qui vont vivre chaque minute de leur vie avec leur tortionnaire ?
Le bilan va en effet être terrible pour les victimes de violences conjugales – femmes et hommes – et les victimes d’inceste, à commencer par les enfants.
Mais le confinement va aussi être très violent pour des patients chroniques ou les personnes âgées qui ne sont pas en Ehpad et qui ont besoin d’aide pour manger, pour se laver... parce que beaucoup d'aidants à domicile ont exercé leur droit de retrait et manquent à l'appel. Et rien n’est prévu pour ces gens-là.
Les cas de maltraitance domestique et institutionnelle vont se multiplier
Les cas de maltraitance domestique et de maltraitance institutionnelle vont du coup se multiplier. Je crains que des chiffres précis soient également très difficiles à obtenir.
Bien sûr, le confinement est indispensable dans cette crise sanitaire et il fallait le mettre en place. Mais ce qui manque, ce sont des numéros d’appels si on craque. On aurait pu en mettre en place notamment à l’attention des parents qui risquent de s'effondrer ou des personnes âgées isolées afin qu'elles soient prises en charge psychologiquement par des spécialistes dédiés.
Pour en revenir aux victimes, elles vont donc se retrouver totalement seules avec leur bourreau, alors même que les parquets et les conseils départementaux sont fermés. C’est catastrophique.
Comment analysez-vous ce phénomène d’exode de Parisiens qui ont quitté la ville, avant le confinement ?
C’est le même phénomène que lors de l’arrivée des Allemands dans la capitale en juin 1940. Une analogie que l’on peut d’ailleurs rapprocher du discours du président qui a lui-même parlé de «guerre».
C’est un exode qui, ceci dit, recrée des inégalités car ceux qui partent ont souvent une résidence secondaire ou un lieu pour les accueillir. Si ces gens se sentent plus en sécurité, d’un point de vue sanitaire cela va pourtant probablement aider à propager le virus.
Donc il y a d'un côté cette dimension protectrice pour ceux qui ont pu partir, mais, de l'autre, un sentiment d’angoisse pour le reste de la population avec la peur de ce virus qui se propage.
Beaucoup de Français sont désespérés de voir qu’ils ne peuvent pas aller à l’enterrement de leurs proches...
Psychologiquement il va falloir gérer les conséquences d’une telle décision. Quand l’un de vos proches meurt et que vous ne pouvez pas être avec lui ou que vous ne pouvez pas être là pour la levée du corps, ça va être extrêmement compliqué pour le travail de deuil.
De même, les personnes âgées et malades font face à un autre problème qui est celui de voir leurs soins reportés au regard du contexte actuel, ce qui est très angoissant.
Les personnes âgées et malades voient leurs soins reportés
J’ai moi-même le cas dans mon entourage d’un homme de 70 ans atteint d’une tumeur cérébrale qui vient d’apprendre, par texto, que sa chimiothérapie était suspendue jusqu’à nouvel ordre, les soignants devant libérer des lits.
C’est un tri qui s’opère déjà et une condamnation à mort. Ces cas de figure s’étaient déjà produits à l’occasion d’autres catastrophes sanitaires comme la canicule de 2003, ou les attentats et, à chaque fois et plus encore, les soignants ont tiré la sonnette d’alarme.
Les soignants, en première ligne, sont de fait eux-mêmes confrontés à des situations très dures d’un point de vue psychologique...
Bien sûr. Et rien n’est prévu pour eux. Pourquoi ? Parce qu'il y a de moins en moins de psys d’urgence. De fait, les soignants se débrouillent souvent comme ils le peuvent alors qu’ils vivent des situations dont ils ne se remettront parfois jamais.
Il faudrait, au sein des urgences, des espaces dédiés aux soignants, des lieux où ils puissent parler, se confier sur leur ressenti et leurs difficultés. Il faut aussi penser aux agents funéraires qui, eux, pour le coup, sont de grands oubliés alors même qu'ils sont dans l’œil du cyclone.
Je suis moi-même soignante et nous demandons juste des moyens humains pour intervenir. Concernant les patients, beaucoup de Français risquent de mourir non pas du coronavirus en lui-même parce qu’il se soigne, ni à cause des soignants qui sont hyper-compétents, mais parce que les soignants ne sont pas assez nombreux et n'ont pas assez de moyens, comme des respirateurs.
Le manque de moyens tue aussi. Et je pense qu'encore une fois nous allons payer le prix d’une catastrophe sanitaire dictée par des choix politiques et une logique comptable opérée il y a déjà plusieurs années.
Pensez-vous que les enseignements de cette crise seront bien tirés ?
Ce que je peux dire, c’est que pour avoir géré plusieurs crises sanitaires par le passé et pour avoir, avec tous les professionnels, tiré la sonnette d’alarme, nous n’avons jamais été entendus.
Le président de la République a dit que le bilan serait fait. Je crains pour ma part qu’il n’y ait même pas besoin d’attendre la fin de la crise pour déjà le faire. La politique de tarification à l’acte et la suppression des lits à l’hôpital public a été catastrophique.
Je crains que cette crise ne clive davantage la société française
De même, les soignants ne peuvent être corvéables à merci et il faut prendre soin d’eux. Ma préoccupation est qu’une fois que la crise sera passée, l’aspect sanitaire passe une nouvelle fois derrière les considérations économiques. Il faudrait vraiment remettre à plat l’éthique de toute l’offre de soins qui reste fixée sur une dimension de rendement et plus du tout sur la dimension humaine.
Il faut accepter que ça coûte cher de soigner les gens mais qu’au final cela coutera moins cher et tout le monde y gagne. Je crains toutefois que la mémoire soit courte et, pire, que cette crise ne clive davantage la société française.