Le chef de l'Etat a pris la parole pendant vingt minutes lundi soir pour annoncer des mesures drastiques de confinement. Cécile Delozier, experte en communication politique, revient sur cette intervention suivie par 35 millions de Français, un record.
Lundi soir, Emmanuel Macron a répété six fois «nous sommes en guerre». Quel est le but de cette répétition ?
«Au niveau rhétorique on appelle cela la "reprise anaphorique". J'y vois un effort ultime pour convaincre les Français du danger et les appeler à la responsabilité. Ce sont des termes très forts, qui ne sont pas répétés dans les dix premières minutes de son discours mais dans sa deuxième partie.
Pourquoi utiliser cette rhétorique guerrière ?
Pour appeler au sens civique de chacun. Dans cette crise sanitaire, l'esprit civique est en jeu. En se protégeant soi-même on protège les autres. Chacun est donc responsable des autres. Emmanuel Macron en appelle au lien citoyen pour rappeler que l'on est membre d'une chaîne, celle de la Nation. Ce lien est en délitement depuis les manifestations des Gilets jaunes. Cette crise va peut-être servir à ressouder les gens.
En revanche, le chef de l'Etat n'a pas utilisé le mot «confinement». Pourquoi ?
Je pense qu'énormément de gens ne savent ce que cela veut dire et il a peut-être eu peur que cela effraie. Et même si le mot est compris intellectuellement, il n'est pas compris physiquement par les Français.
A qui fait-il référence en parlant des «demi-experts et des faux sachants» ?
Il vise les «fake news», qui sont diffusés notamment sur le net. Mais hier soir, ceux qui l'ont écouté ne sont pas ceux qui devraient entendre ce message.
Pourquoi a-t-il consulté ses prédecesseurs pour prendre la décision de reporter le deuxième tour des élections municipales ?
Premièrement, quand on veut montrer que l'on a réfléchi et que l'on est dans une situation de difficulté, on utilise des arguments d'autorité : pour Emmanuel Macron, c'est en faisant référence à des personnalités qui ont été à sa place. Cela sert à donner plus de crédit à la parole.
Deuxièmement, il a été accusé ces derniers mois, peut-être à raison, de ne pas négocier, consulter et de décider seul. Lundi soir, il a mis en scène une consultation pour se montrer homme de dialogue.
Pourquoi n'a-t-il pas précisement détaillé dans son discours les mesures du confinement ? Il a fallu attendre la prise de parole du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner.
Un président doit donner la vision et la ligne politique. Il ne doit pas mettre ses mains dans le cambouis. C'est une façon de ne pas descendre dans l'arène et de prendre des coups inutilement. Le «sale boulot» doit être fait par le ministre de l'Intérieur.
Qu'avez-vous pensé de son attitude corporelle et de son ton ?
Jeudi dernier (dans une précédente allocution télévisée, ndlr), il a été bon comme il ne l'a jamais été. Par sa prestance, son autorité, sa posture et son calme.
Lundi soir, il a essayé d'être un peu plus dans l'empathie, je l'ai trouvé moins bon. Mais il donne quand même l'impression d'être le capitaine du navire. Pour l'instant, il est au rendez-vous de l'Histoire.
Lundi, comme jeudi, il avait des gestes parasites qui le rendaient plus humain : il touchait un peu plus son visage et ses cils.
Mais les deux interventions ont été trop longues par rapport au monde moderne. Il faudrait densifier le message. Pour prendre un exemple d'une autre époque, l'appel du 18 juin ne dure que six minutes. En étant trop long, il perd en solennité.»