Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
Jeudi 20 septembre
Retour d’Amérique. Il m’a fallu quelques jours pour récupérer du décalage horaire, retrouver la France et ses petites secousses.
Le décalage, ce qu’ils appellent le «jet lag», vous met dans une sorte d’état second. Vous avez beaucoup regardé les chaînes de télévision là-bas. Alors, vous avez encore en tête les images des inondations qui détruisent des milliers de maisons, villages, arbres, édifices, de la Caroline du Sud jusqu’à la Virginie. Les grands médias ont envoyé leurs reporters en bottes, en parka, en poncho, en tenue quasi militaire. Le principal présentateur du journal de 18h est là, lui aussi, habillé comme un pêcheur de thon en plein océan. Micro à la main, tenant à peine sur leurs jambes sous la pression du vent, trempés jusqu’aux genoux dans l’eau qui traverse les rues désertées, les reporters disent ce qu’ils ont vu : le courage, l’abnégation, la solidarité des équipes de secouristes, de pompiers, de policiers. Le Sud est habitué à ces fatalités.
Il existe une sorte d’acceptation vis-à-vis d’une nature de plus en plus sauvage. Ce serait comme une culture de l’ouragan, avec annonces, alarmes, départs par millions vers les terres intérieures. La routine du malheur. Mais Florence, cette année, bat tous les records, et personne, à la Maison-Blanche, ne s’est exprimé sur ces intempéries, dont chacun sait qu’elles sont dues au «climate change», le changement climatique. A Washington, on ignore jusqu’à ce mot.
Il est vrai que d’autres mots roulent avec la même continuité dans les couloirs du pouvoir et des médias. Trump et son langage ordurier. Trump et sa fierté de constater que l’économie est belle et bonne. Trump et son obsession d’humilier ses collaborateurs. Trump l’incorrigible twittos qui, à peine un ministre a-t-il quitté le bureau ovale avec un accord sur une nomination, envoie, dès qu’il se retrouve seul, un message affirmant le contraire absolu de l’ordre qu’il vient de donner.
Trump le menteur, le «fucking liar», que l’on peut traduire par «putain de menteur». Ce sont les derniers mots du fameux livre de Bob Woodward, intitulé «Fear» (la peur). C’est une véritable grenade dégoupillée que publie le célèbre journaliste-écrivain, qui fit chuter, avec son confrère Carl Bernstein, Richard Nixon pendant le Watergate, en 1974. Son «Fear» se lit comme on dévore une série sur la Maison-Blanche. Mais il n’y a aucune fiction et Woodward, dans vingt pages de postface, prend la précaution d’écrire : «L’information dans ce chapitre vient de multiples entretiens avec des sources profondes, de première main.»
Trump, en cette veille d’automne, a désormais plus d’une dizaine d’avocats et de juristes à son service pour tenter de se protéger des deux enquêtes fédérales qui le menacent, aussi bien pour sa présidence que pour son business. En outre, les élections de mi-novembre s’approchent et elles pourraient le déstabiliser. Il n’empêche : «Je suis le meilleur, clame-t-il en toute occasion, le meilleur !» On va voir.
Mais ce que j’ai vu, aussi, c’est un pays en apparente bonne santé, des rues et des magasins remplis de consommateurs à New York, des entreprises qui prospèrent, une actualité sportive qui mobilise des millions de spectateurs, dans les stades comme devant les écrans, et une mixité ethnique de plus en plus manifeste. Comme souvent, en rentrant des Etats-Unis, il faut s’en tenir à quelques idées fixes :
- Un pays puissant, prospère, inventif ;
- Le plus grand marché du monde ;
- L’incertitude des lendemains politiques ;
- L’imminence de l’impossible, le règne de l’inattendu ;
- La certitude que, malgré tout, ils s’en sortiront.
Et puis, l’automne arrive, l’été sera indien et, là-bas comme ici, les feuilles rouge et jaune, ocre et orange, domineront, dans un «concert d’odeurs» dont parlait le poète Apollinaire.