Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
MERCREDI 29 AOÛT
Bonjour et bienvenue, c’est votre rentrée, la nôtre, la mienne. Ce terme évoque, avant tout, le retour des élèves de tous âges, d’où émergeront, un jour, un nouveau Mozart, un nouveau Deschamps, une nouvelle Sagan, un nouveau Riner, une nouvelle Dolto, un nouveau Pesquet.
Ne l’oublions jamais, l’avenir d’un pays se joue au rythme des pas des écoliers sur les trottoirs. Il est entre les mains des profs, de ceux qu’on n’appelle plus les «instits». Ce sont souvent des femmes, elles méritent le respect.
Mais le mot «rentrée» s’applique aussi à la politique, à ce que l’on appelle «l’actu». Nicolas Hulot s’en va, ce n’est pas forcément une surprise. Edouard Philippe s’explique sur le budget, son président se soucie de l’Europe, il a raison, elle va mal – en Allemagne, le populisme néofasciste réapparaît, en Italie, l’irrationnel s’installe. Le pape François dit des bêtises. Donald Trump est toujours aussi grossier et l’état économique de son pays aussi florissant. On meurt toujours en Syrie, on se noie toujours dans les eaux au large de la Libye, on crève toujours de faim et de soif en Afrique centrale, et on ne parvient pas à faire libérer le cinéaste russe Oleg Sentsov.
Alors, je me tourne vers les livres. Quel privilège, pour un pays comme le nôtre, que de consacrer autant de temps et d’espace à la fiction, la mémoire, l’Histoire, le roman, la poésie, la BD ! Mesurons-nous notre chance ? On se plaint de l’excès de parutions de nouveaux ouvrages à chaque rentrée (on atteint les 567, dont 381 romans), mais nous devrions nous en réjouir.
Cela veut dire que, malgré la tentaculaire présence de l’accessoire moderne (smartphones, tablettes, accès à toutes les chaînes de télé, podcasts, séries, jeux vidéo…), malgré la machine mondiale à fabriquer de la distraction, bien souvent superficielle, il subsiste, en France, assez de gens pour se passionner pour une histoire, un roman, une confession – et il reste toute une communauté (des libraires aux critiques) qui se bat pour les faire connaître.
Il semble, en cette fin d’été (la chaleur a roussi les feuilles, sentez-vous déjà venir l’automne ?) que l’on assiste à une profusion d’ouvrages sur la douleur de la perte d’un être aimé. Chacune et chacun y va de son récit-roman-bio-confession sur une mère, un père, un fils, un frère.
Vanessa Schneider (Tu t’appelais Maria Schneider, éd. Grasset) fait revivre sa cousine, l’actrice Maria Schneider, dont deux brutes (Marlon Brando et Bernardo Bertolucci) détruisirent la vie et la personne avec Le dernier tango à Paris. L’auteur prend joliment ce prétexte pour parler d’elle-même et de son incroyable enfance.
Eric Fottorino (Dix-sept ans, éd. Gallimard) parle de la mère et des énigmes de son existence. Olivia de Lamberterie (Avec toutes mes sympathies, éd. Stock) du frère disparu. Michaël Ferrier (François, portrait d’un absent, éd. Gallimard) d’un ami intime, un autre soi-même, dont la mort inattendue bouleversa l’écrivain. Christophe Boltanski (Le guetteur, éd. Stock) et Nathalie Léger (La robe blanche, éd. P.O.L) sont, aussi, à la recherche de la vérité sur leurs mères.
On ne m’ôtera pas la conviction, néanmoins, que le livre le plus important, celui dont vous ne sortirez pas indemne, c’est Le lambeau (éd. Gallimard) de Philippe Lançon, paru il y a déjà plusieurs mois mais encore très présent dans la liste des meilleures ventes. Je rappelle, pour qui ne l’aurait pas encore lu, qu’en 510 pages, l’auteur, rescapé et survivant du massacre de Charlie Hebdo, relate l’attentat lui-même et les conséquences sur sa vie, sa vision de l’hôpital, sa lucide et passionnante description d’une reconstruction qui, à ce jour, n’est sans doute pas encore achevée. Lançon, c’est l’écrivain de l’année. Pour moi, il domine «la rentrée».
Rebonjour à toutes et tous, c’est un plaisir de vous retrouver.