Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
Mardi 11 septembre
Voici ma lettre d’Amérique – où je me trouve pour quelques jours. Une Amérique, comme toujours, partagée entre plusieurs événements.
Il y a d’abord, et cela ne changera jamais, la célébration du 11 septembre. Cela fait dix-sept ans – et cela demeure un jour sacré, un jour maudit. Il est 9h59, à la minute où la tour sud du World Trade Center s’était effondrée, et je vois, sur les écrans, défiler les parents des 2.983 victimes qui se relaient pour lire les noms de celles et ceux qui ont disparu. Ce rite est immuable. Une minute de silence. Uniformes divers. Visages graves. Un journaliste de CNN qui avait «couvert» la catastrophe a du mal à retenir ses larmes. Au même moment, cérémonie similaire au Pentagone, mais aussi à Shanksville, en Pennsylvanie, dans un champ d’herbe où s’était écrasé le vol 93 – le quatrième avion, celui qui se dirigeait vers la Maison-Blanche et dont les passagers, en sacrifiant leurs vies, parvinrent à forcer les pirates et périrent avec eux. Ce champ devenu une terre protégée, sanctuarisée, et que le président Trump a choisi, aujourd’hui, de saluer. Toutes ces cérémonies simultanées, cette sobre et sombre matinée, ne sont qu’un volet d’une actualité pleine et contradictoire.
Ainsi, au même moment, mais ailleurs, sur la côte est, au Sud, entre la Caroline et la Virginie, c’est l’alerte, l’alarme, avec ce mot d’ordre :
– Evacuez !
Près de deux millions de gens sont forcés de fuir, sous la menace du plus violent ouragan depuis cinquante ans, le mal nommé Florence, qui va dévaster les villes au bord de la plage, les régions trop proches dont les habitants savent qu’ils risquent de perdre leurs maisons, leurs vies. Alors, la grande transhumance s’est enclenchée, avec d’interminables files de voitures, des stations essence embouteillées, des durs à cuire qui décident de rester et barricadent leurs demeures, des familles qui s’entassent dans leurs caravanes. C’est une grande partie d’un pays qui ne se préoccupe pas du tout du 11 septembre à New York, sachant que l’image de l’œil noir du cyclone dans un nuage blanc tourbillonnant, prise par satellite, fait la une de tous les journaux. Florence, catastrophe en mouvement, a pris le pas sur le dix-septième anniversaire d’une catastrophe figée dans le passé.
Quant au présent, celui de Trump, il est, là encore, contradictoire. D’un côté, ce matin, de nouveaux sondages indiquent que 58% des Américains lui sont défavorables. Il chute. De l’autre, on apprend que 69% de ces mêmes Américains se félicitent de la bonne santé de l’économie. Or, un bon observateur vous dira que tant que l’économie est bonne, un président ne risque rien. Il n’empêche, nous sommes à plus d’un mois des élections de mi-mandat : Trump les perdra-t-il ? Si oui, tous ses problèmes juridiques, financiers, toutes ses violations des pratiques usuelles de gouvernance l’enverront au désastre. Si non, si son parti tient le coup, il demeurera. «Nous allons, me dit le brillant essayiste Adam Gopnik, vers une crise majeure.»
Sombre mardi aux Etats-Unis ? Pas vraiment, non, j’ai aussi rencontré des Américains satisfaits.
Ils ont du boulot – le chômage n’a jamais été aussi bas –, des entreprises nouvelles voient régulièrement le jour, et malgré toutes les dissensions raciales, lorsqu’il faut se réunir autour de la bannière étoilée, ils sont là.
Etrange nation d’où sortent tous les outils de la modernité, d’où ont émergé des groupes aux revenus plus puissants que les budgets de certains pays (Google est tellement riche et omniprésent qu’il faudra bien y mettre un frein) et qui, néanmoins, accepte un président rétrograde et ultraconservateur. Les nominations effectuées par Trump à la Cour suprême vont peser sur le pays pour les décennies qui viennent.
On peut s’attendre à tout, ici – au pire comme au meilleur.
Le pire s’appelle Florence. Aucune sensation de panique. Les Américains disent qu’ils sont prêts.