Ce lundi, la Cour suprême américaine pourrait à nouveau revenir sur l'une de ses jurisprudences historiques, celle concernant les politiques dites de «discrimination positive» dans les universités.
La très conservatrice Cour suprême des Etats-Unis pourrait opérer un nouveau demi-tour historique ce lundi 31 octobre. Après avoir annulé en juin dernier l'arrêt «Roe v. Wade», qui garantissait le droit fédéral à avorter depuis un demi-siècle, la haute-juridiction se penche à présent sur la question raciale, tout aussi sensible. Elle doit étudier les politiques dites de «discrimination positive» dans les universités.
Plus précisément, les neuf sages qui composent la Cour suprême examineront pendant deux heures les mécanismes de sélection au sein des deux plus vieux établissements d'enseignement supérieur privé et public du pays : les universités d'Harvard et de Caroline du Nord.
Comme beaucoup d'autres aux Etats-Unis, ces dernières tiennent compte de critères ethniques pour assurer la diversité de leurs étudiants et corriger la sous-représentation des jeunes issus des minorités noire et hispanique. Ces mécanismes dits de «discrimination positive» existent depuis la fin des années 1960. Comme l'a expliqué Yasmin Cader, de l'organisation des droits civiques ACLU, ils «visent à corriger les inégalités systémiques héritées du passé».
A droite, ces programmes ont toujours fait l'objet de vives contestations, leurs détracteurs les jugeant opaques et inefficaces. Des étudiants blancs ont déjà porté plainte contre ces mécanismes, se disant victimes de «discrimination inversée». Sur les 50 Etats américains, 9 les ont même interdits. La Californie, qui fait partie de ceux-là, a sauté le pas après un référendum d'initiative populaire.
Jusqu'ici, la Cour suprême n'avait jamais remis en cause ces programmes de «discrimination positive». Elle s'était contentée d'interdire le recours à des quotas, en 1978, tout en validant la prise en compte de la couleur de peau ou de l'origine ethnique des candidats, parmi d'autres critères, pour favoriser la diversité sur les campus.
La Cour saisie par une association
Si la haute juridiction s'empare de cette question aujourd'hui, c'est parce qu'elle a été saisie par l'association «Students for Fair admission». Cette dernière a été créée par Edward Blum, un militant néoconservateur farouchement opposé à la discrimination positive.
Son association a introduit deux plaintes à ce sujet en 2014, pour dénoncer une «discrimination» des étudiants d'origine asiatique à Harvard et à l'Université de Caroline du Nord. Elle estime que ces étudiants sont proportionnellement sous-représentés dans ces établissements compte tenu de leurs résultats académiques, supérieurs à la moyenne.
Puisque ces plaintes n'ont pas abouti devant les tribunaux, Students for Fair admission s'est tournée vers la Cour suprême, lui demandant de se prononcer contre la discrimination positive. Sachant que la haute juridiction rejette la grande majorité des affaires qui lui sont adressées, le simple fait qu'elle accepte ce recours laisse penser qu'elle pourrait donner raison à l'association d'Edward Blum.
Une telle décision aurait d'importantes répercussions, aussi bien sur le secteur éducatif que sur l'emploi. Le président des Etats-Unis, Joe Biden, a lui-même réagi, appelant à conserver le statu quo. «L'avenir de notre pays dépend de sa capacité à avoir des leaders aux profils variés, capables de diriger une société de plus en plus diverse», a-t-il plaidé.
Les conservateurs majoritaires
De grandes entreprises telles qu'Apple, Starbucks, General Motors ou encore Accenture ont également pris position, soulignant le fait qu'une «main d'oeuvre diversifiée» améliore leurs performances et qu'elles dépendent «des écoles du pays pour former leurs futurs employés».
Un revirement majeur est toutefois probable. Notamment parce que les conservateurs sont majoritaires parmi les magistrats composant la Cour suprême américaine, à six contre trois progressistes. Le camp minoritaire est de surcroît affaibli puisque la juge Ketanji Brown Jackson s'est récusée en tant que membre du conseil de surveillance d'Harvard.
Sur les six magistrats conservateurs de la haute juridiction, trois ont été nommés par l'ex-président Donald Trump, lui-même opposé à ces programmes de discrimination positive. Les trois autres ont déjà ouvertement exprimé leur hostilité envers ces politiques, à l'image du chef de la Cour, John Roberts. En 2007 ce dernier avait écrit : «Si on veut mettre un terme aux discriminations raciales, il faut arrêter de discriminer sur des critères raciaux».
Alors que plusieurs analystes s'attendent à voir la Cour suprême revenir sur sa jurisprudence, l'ACLU s'alarme face à «la menace de voir la génération derrière nous avoir moins de droits que nous». «Je dis ça en tant qu'Afro-Américaine qui a pu aller en faculté de droit grâce à la jurisprudence de la Cour», a ajouté Yasmin Cader.