Après quatre années hors normes à la tête du Brésil, le président populiste Jair Bolsonaro brigue un second mandat. Ses opposants, Lula en tête, pointent un bilan social, sanitaire et écologique désastreux. Les Brésiliens, eux, se prononcent ce dimanche 2 octobre.
covid-19 : une «grippette» et 685.000 morts
Avec plus de 685.000 morts du Covid-19 pour 212 millions d'habitants, le Brésil est l'un des pays les plus mortellement touchés par la pandémie.
Pour le sénat brésilien, le coupable est tout désigné. Dans un rapport parlementaire, des élus de tous bords politiques ont indiqué avoir «recueilli des preuves qui montrent que le gouvernement fédéral (...) a agi avec lenteur dans le combat contre la pandémie de coronavirus, exposant délibérément la population à un risque réel d'infection de masse».
Jair Bolsonaro, qui qualifiait le virus de «grippette», est - entre autres - accusé d'avoir minimisé le risque sanitaire et alimenté la méfiance envers le vaccin, dont il jugeait qu'il transformait les gens en «crocodile» ou en «femme à barbe». Depuis mars 2020, il n'a pris aucune mesure de confinement et n'a jamais imposé le port du masque malgré l'explosion du système hospitalier.
Les sénateurs ont demandé en octobre 2021 l'inculpation du président Jair Bolsonaro pour 10 crimes «intentionnels» durant de la pandémie de Covid-19, dont celui de «crime contre l'humanité».
La gestion de la crise sanitaire par Jair Bolsonaro a poussé des dizaines de milliers de manifestants dans la rue pour réclamer la destitution du président. En vain.
«Il bénéficie du soutien au parlement des députés du «Centrão» (un groupe informel composé de partis opportunistes dont les alliances varient, NDLR) à qui il a ouvert les vannes du budget pour éviter la destitution», explique Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes de Sciences Po.
Le procureur général brésilien Augusto Aras, seule personne habilitée à inculper le président brésilien, est par ailleurs un proche du chef d'Etat.
Mi-septembre, Jair Bolsonaro a fini par s'excuser à demi-mot, admettant avoir avoir «perdu la tête», en 2020, quand il avait lancé «je ne suis pas croque-mort» à des journalistes l'interrogeant sur les chiffres de l'épidémie dans le pays. «Je suis un être humain, je regrette d'avoir dit ça, je ne le dirai plus», a-t-il regretté face à un rappeur évangélique dont le beau-père était mort du Covid-19.
Environnement : la déforestation au plus haut, les indigènes acculés
Alors que l'Amazonie est frappée depuis janvier par une vague inédite d'incendies, Jair Bolsonaro est accusé d'avoir accéléré la destruction de la forêt tropicale.
Favorable à une exploitation agricole et minière de l'Amazonie brésilienne (60% de la forêt), le président a drastiquement réduit les budgets et les prérogatives des organismes de surveillance. Résultat, la déforestation de l'Amazonie a explosé, en moyenne annuelle, de 75% en quatre ans. En 2021, elle a même atteint son plus haut niveau depuis 2008.
Jair Bolsonaro s'est entouré de ministres proches de l'agrobusiness, peu préoccupés par les enjeux climatiques. Comme Tereza Cristina da Costa, ministre de l’Agriculture et ancienne cheffe d'un lobby agricole au Parlement, ou Ricardo Salles, ministre de l'Environnement, qui a démissionné après avoir trempé dans un trafic international de bois.
A la veille de la Journée mondiale des forêts tropicales, demain, deux experts alarment sur l'état de la forêt amazonienne, plus en danger que jamais. La déforestation du "poumon de la planète" bat tous les records en 2020 #AFP pic.twitter.com/Z9KjLnesF6
— Agence France-Presse (@afpfr) June 21, 2020
La politique amazonienne de Jair Bolsonaro se traduit aussi par des attaques régulières contre les indigènes, dont le gouvernement et les grands propriétaires terriens convoitent les terres. Les territoires indigènes - protégés par la constitution de 1988 - ont ainsi subi 305 invasions en 2021, soit 180% de plus qu'en 2018. Au point que la Coordination des organisations indigènes de l’Amazonie brésilienne (COIAB) qualifie Jair Bolsonaro de «pire ennemi des peuples indigènes».
Indigenous tribes of the Amazon region gathered to plan their opposition to President Bolsonaro's push to integrate Brazil's 900,000 natives into the economy. Environmentalists say that could accelerate the clearing of the Amazon https://t.co/exXRvHIJAY pic.twitter.com/FrNbolonau
— Reuters (@Reuters) January 15, 2020
Si la Cour suprême brésilienne l'a empêché de transférer la prérogative de délimitation des terres indigènes au ministère de l’Agriculture, Jair Bolsonaro a placé l'un de ses proches à la tête de la Fondation nationale pour l’Indien (Funai), l'institution chargée de «protéger et promouvoir les droits» des indigènes.
«La politique de Bolsonaro en Amazonie pourrait avoir des conséquences judiciaires», précise Gaspard Estrada. Deux plaintes ont notamment été déposées à la Cour pénale internationale (CPI). L'une par des tribus indigènes pour «génocide», l'autre par une ONG environnementale pour «crime contre l'humanité».
Société : un discours réactionnaire, des violences décomplexées
«Nous devons déconstruire, défaire beaucoup de choses», avait averti le nouveau président peu après son installation au Palais présidentiel de l'Alvorada de Brasilia en janvier 2019.
«Jair Bolsonaro n'avait pas d'autre programme que de détruire ce qui avait été construit par la constitution de 1988 et par les gouvernements successifs - de droite comme de gauche - depuis les années 1990», résume Gaspard Estrada.
Ultraconservateur et nationaliste, ce nostalgique de la dictature militaire (1964-1985) est parti en croisade contre «l'idéologie de gauche» et le «politiquement correct», supprimant le ministère de la Culture et coupant les subventions aux scientifiques.
Au cours de son mandat, Jair Bolsonaro s'est illustré par ses nombreuses sorties polémiques. Anti-IVG, dans un pays où il est strictement encadré, il a par exemple jugé «inadmissible» l’avortement d’une enfant de 11 ans victime d'un viol, bien que la loi le lui autorisait.
Son discours machiste, homophobe voire raciste s'est aussi traduit par des violences décomplexées contre les minorités. Si le chiffre des féminicides est en légère baisse en 2021 par rapport à 2020 (-2,7%), celui des viols de femmes a augmenté de 3,7%, soit un viol toutes les 10 minutes.
Avec comme slogan de campagne «Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous», Jair Bolsonaro a enfin renforcé le poids des puissantes églises évangéliques, qui ont pesé jusque dans la rédaction des manuels scolaires. Avec les grands propriétaires terriens et les partisans du port d'armes, elles constituent le socle électoral de celui que la presse a surnommé le «Trump des tropiques».
Sécurité : un bilan mitigé
«Un bon bandit est un bandit mort», a déclaré Jair Bolsonaro après son élection. Avec une telle devise, son bilan sécuritaire allait être scruté de près.
Selon les statistiques, une légère baisse de la criminalité a effectivement été observée sous le mandat de Jair Bolsonaro, mais celle-ci est multifactorielle et n'est pas forcément à mettre au crédit du président populiste.
Selon le dernier rapport du Forum brésilien de la sécurité publique (FBSP), cité par TF1Info, le taux de «morts violentes intentionnelles pour 100 habitants» a commencé à baisser à partir de 2018, soit un an avant l'arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir. Ainsi, entre 2019 et les dernières données disponibles, l'indicateur a baissé de 1,76%.
Plusieurs phénomènes peuvent expliquer cette tendance, comme la démographie ou l'évolution des conflits entre groupes mafieux. Certaines politiques publiques ont pu avoir une influence mais celles-ci «dépendent principalement des gouvernorats, à l'échelle locale, et non du gouvernement fédéral», souligne Gaspard Estrada.
Devant l'insécurité chronique du pays, le programme de Jair Bolsonaro en la matière était simple : armer les Brésiliens. Les permis de possession d'une arme à feu ont ainsi explosé de 474% de 2018 à 2022. Dans les grandes métropoles, le phénomène des milices armées est en plein essor.
Economie, social : toujours autant de pauvreté et d'inégalités
Pas moins de 33 millions de Brésiliens souffrent actuellement de la faim, soit près de 30% de la population. Un fléau que n'a pas réussi à juguler Jair Bolsonaro.
«Il a certes mis en place une politique d'aide sociale durant le deuxième semestre de 2020 mais elle a été de courte durée et ne s'est pas attaqué aux causes profondes des inégalités», décrypte Gaspard Estrada. «Pire, il a déstructuré une politique sociale qui fonctionnait depuis une vingtaine d'années, notamment la bourse famille instituée par Lula dans les années 2000», ajoute notre expert de l'Amérique du Sud.
A trois mois des élections, Jair Bolsonaro a déboursé 41 milliards de reais (environ 7,6 milliards d'euros) pour augmenter les prestations sociales. Avec l'appui de la Chambre des députés, il ainsi décrété un «état d'urgence» pour contourner la législation qui interdit l'adoption de nouvelles lois en période électorale.
Jair Bolsonaro espère aussi capitaliser sur une embellie de l'économie brésilienne, qui bénéficie d'une hausse d'1,2% de sa croissance au deuxième trimestre par rapport au précédent.