Même si les votes continuent d'être comptés aux Etats-Unis, Joe Biden semble avoir obtenu assez de grands électeurs pour devenir le prochain président américain. Le démocrate retrouvera la Maison Blanche après les quatre années de Donald Trump dans le bureau ovale. Moins virulent, plus modéré, il devrait tenter de rassembler le pays d'après Jean-Eric Branaa, politologue spécialiste des Etats-Unis et auteur d'une biographie de Joe Biden.
Avec l'élection de Joe Biden, est-ce que l'on va retrouver une forme d'accalmie à Washington, après quatre années plus troublées sous Donald Trump ?
Son discours de mercredi soir appelait à cela et correspond à sa fin de campagne quand il disait : «j’ai peut-être l’étiquette démocrate mais je serais le président de tous». Donc c’est une main tendue. Son discours était : «ce qui nous rassemble en tant qu’américains est plus fort que ce qui nous divise». Ce sont des paroles apaisantes que l’on va maintenant entendre en boucle jusqu’au 20 janvier et le discours d’investiture, et c’est une rupture avec ce qu’on a eu jusqu’à maintenant, puisque Donald Trump ne voulait parler qu’à un seul camp et refusait de parler aux démocrates au point que le bipartisanisme, racine de la politique américaine, avait quasiment disparu.
Le Sénat risque de ne pas être démocrate. Est-ce que, malgré tout, il peut gouverner car malgré son expérience et ses nombreux amis républicains, la fracture politique entre les deux camps est très forte ?
C’est vrai qu’à ce moment-là, il faudra faire du compromis. Mais on a déjà eu ce genre de configuration aux Etats-Unis. S’il n’y a qu’un ou deux sièges d’écart, l'équipe de Biden va chercher le maillon faible, celui ou celle avec qui on peut travailler. On pense à Susan Collins, qui doit avoir en travers de la gorge que les républicains l’ont lâchée en pensant qu’elle allait se faire étriper, et finalement elle revient. Elle sera à même d’aller travailler avec Joe Biden qu’elle connaît très bien. Elle fait partie de ceux qui avaient voté l’Obamacare en échange d’un texte sur les écoles. Lisa Murkowski est un peu dans la même configuration, avec des dossiers à faire avancer dans l’Alaska donc pourquoi pas. Il en trouvera d’autres, mais il a des hommes de bonne volonté qui sont plus modérés comme Mitt Romney.
Il connaît parfaitement cette machine et les réseaux à l’intérieur. Il compte beaucoup d’amis sur tous les bancs, que ce soit les progressistes, les modérés ou les républicains. Dans ses meilleurs amis on compte d'ailleurs Mitch McConnell, le leader des sénateurs républicains. On peut penser qu’il y a déjà eu des contacts et que ça continuera.
Mais en revanche, s’il donne trop d'un côté, ne pourrait-il pas se mettre à dos d’autres personnes dans son camp comme Bernie Sanders, Ilhan Omar, Alexandria Ocasio-Cortez, qui sont très progressistes et pas forcément les plus conciliants ?
Il y a une différence entre Bernie Sanders et les deux autres. Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar sont de jeunes élues et ont beaucoup de choses à prouver, donc elles sont un peu radicales. Bernie Sanders a des idées progressistes qui peuvent être radicales ou vécues comme telles, mais ce n’est pas un homme radical. Il connaît parfaitement le Sénat, et il sait faire des compromis. Il est capable de travailler et faire un pas dans une direction, à condition de faire passer certaines de ses idées. Je ne pense pas que Joe Biden aura de problèmes avec lui, d’autant que son programme a été fabriqué avec des équipes de Bernie Sanders, dont Alexandria Ocasio-Cortez pour l’environnement. Il va y avoir beaucoup de compromis de part et d’autre, et c’est quand même la grande qualité de Joe Biden. C’est un homme qui a fait ça toute sa vie. C’est un politicien hors pair qui est dans la main tendue tout le temps.
Au-delà de la politique, la société américaine reste fracturée. Sachant que c'est un politicien de métier, qui pourrait être étiqueté comme faisant partie de l'establishment politicien, est-ce que c'est une difficulté pour lui ?
Il n’a pas cette étiquette d’establishment, c’est même tout le contraire. Il a l’étiquette d’un homme hors du commun qui, toute sa vie, par exemple, est rentré chez lui tous les jours pour s’occuper de ses enfants. Il a fait 7.000 voyages entre D.C et Wilmington, 3 millions de kilomètres en train. Il a l’étiquette d’un homme né dans un milieu ouvrier et qui s’est fait tout seul, qui a été l’un des parlementaires les plus mal payés du Sénat parce qu’il n’a fait aucune autre carrière alors qu’aux Etats-Unis la coutume est de faire fortune puis de se faire élire. Et cela tout le monde le sait, on sait quel genre de type c’est.
Mais il a surtout un sens de l’écoute, ce qui est rare chez ses collègues politiciens. C’est une qualité énorme pour faire du compromis, pour montrer à l’autre que vous l’avez écouté et respecté. Joe Biden est empreint de moralité, qui vient d’un milieu catholique, et il estime qu’il faut absolument respecter la parole donnée et ne pas mentir. Et certains trouvent que c’est un peu fatiguant quelqu’un qui est aussi rigoriste. Mais en même temps, ça donne une grande confiance dans la parole de Joe Biden.
À l’international, il va devoir passer après Donald Trump, qui a rompu l’amitié avec un certain nombre de pays, notamment en Europe. Il a l’expérience de ce côté-là pour amorcer un «retour à la normale» ?
Joe Biden est l’homme qui a le plus d’expérience en politique étrangère aux Etats-Unis. Il a été deux fois président de la commission des affaires étrangères, a visité 150 pays, connaît la plupart des chefs d’Etats en place, qu’il a connu en tant que vice-président ou sénateur. Il a des relations privilégiées avec certains. Il n’en a pas que des bonnes cependant, parce qu’il a regardé Poutine dans les yeux en lui disant «je pense que vous n’avez pas d’âme». Le climat n'est pas davantage fabuleux avec les Iraniens. Mais il a les capacités, c’est d'ailleurs pour cette raison que Barack Obama l’avait choisi comme vice-président, parce que c’est un expert de la politique étrangère.
L'on sait par exemple qu’il a beaucoup milité pour faire entrer l’Otan et l’ONU dans la guerre en Yougoslavie, puisque le gros leitmotiv de Joe Biden concerne les droits de l’Homme. Cela avait totalement disparu de la politique américaine, puisque ce n’était pas du tout le truc de Donald Trump qui pensait au commerce et estimait que le reste des affaires du monde ne le regardait pas. Joe Biden va agir différemment.