Le président kosovar Hashim Thaci, l'ancien chef de la guérilla indépendantiste, a été rattrapé par son passé : le procureur du tribunal spécial pour le Kosovo l'a accusé mercredi de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
Hashim Thaci est accusé de «crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, y compris meurtre, disparition forcée de personnes, persécution et torture», pendant le conflit contre la Serbie à la fin des années 90, a déclaré le tribunal dont le siège à La Haye.
Un juge «examine actuellement l'acte d'accusation pour décider s'il convient de confirmer les charges», procédure qui pourrait mener à une inculpation en bonne et due forme.
Président du Kosovo depuis 2016, M. Thaci a «interrompu» son voyage à Washington où il était attendu à un sommet avec la Serbie et va rentrer au Kosovo, a annoncé mercredi son cabinet, sans préciser où il se trouve actuellement.
Dix chefs d'accusation
L'émissaire américain pour ce dossier Richard Grenell a précisé sur Twitter que «les discussions de samedi» à la Maison Blanche, qui visent à relancer le dialogue de paix gelé depuis fin 2018, étaient maintenues, mais uniquement entre le président serbe Aleksandar Vucic et le Premier ministre kosovar Avdullah Hoti.
Créé en 2015, le tribunal spécial pour le Kosovo est chargé d'enquêter sur les crimes présumés commis par la guérilla indépendantiste kosovare albanaise (UCK), principalement à l'encontre des Serbes, des Roms et des opposants albanais à la guérilla pendant et après le conflit de 1998-99.
M. Thaci fait l'objet de dix chefs d'accusation émis le 24 avril et rendus publics mercredi, a souligné le tribunal.
Ces accusations concernent également Kadri Veseli, l'ex-patron du renseignement de la guérilla kosovare et actuel dirigeant du Parti démocratique du Kosovo (PDK), ainsi que «d'autres personnes».
D'après l'acte d'accusation, «Hashim Thaci, Kadri Veseli et les autres suspects accusés sont pénalement responsables de près de 100 meurtres», a fait savoir le tribunal.
Le tribunal «a commis une erreur« en rendant public l'acte d'accusation juste avant le sommet entre le Kosovo et la Serbie, a réagi Hysni Gucati, le président de l'association des anciens combattants du Kosovo, qualifiant cette démarche de «complètement politique».
L'annonce du bureau du procureur pourrait en effet être liée au sommet du 27 juin, «où la dissolution du Tribunal spécial pourrait être sur la table des négociations», analyse Vigan Corolli, professeur en droit à l'Université de Pristina.
Le président refuse de démissionner
Dernier conflit en ex-Yougoslavie, la guerre du Kosovo entre forces serbes et guérilla indépendantiste kosovare albanaise a fait plus de 13.000 morts (plus de 11.000 Kosovars albanais, 2.000 Serbes et quelques centaines de Roms). Elle s'est terminée quand une campagne occidentale de bombardements a contraint les forces serbes à se retirer.
Le différend qui oppose Belgrade à son ancienne province méridionale est l'un des conflits territoriaux les plus épineux d'Europe. La Serbie refuse de reconnaître l'indépendance proclamée en 2008 par le Kosovo après la guerre.
Interrogé par des médias en avril au sujet d'une éventuelle démission de son poste de président en cas de mise en accusation par le tribunal spécial pour le Kosovo, M. Thaci a rétorqué : «Pourquoi devrais-je démissionner ?». «Je répondrai positivement (à l'invitation à comparaître devant le tribunal), mais je ne démissionnerai pas», a-t-il alors répondu.
Mercredi, le tribunal a évoqué «une campagne secrète» de la part de MM. Thaci et Veseli pour empêcher sa création et enrayer son travail «afin de garantir qu'ils ne soient pas traduits en justice». «Le procureur spécialisé a jugé nécessaire d'émettre cet acte d'accusation public en raison des efforts répétés d'Hashim Thaci et Kadri Veseli pour entraver et saper le travail» du tribunal.
«A travers ces actions, ils ont fait passer leurs intérêts personnels avant les victimes de leurs crimes, l'Etat de droit et tous les citoyens du Kosovo», a-t-il écrit.
Plusieurs hauts responsables kosovars avaient déjà été convoqués par le tribunal par le passé. Le procureur du tribunal avait dressé en février les premiers actes d'accusation dans cette affaire, sans communiquer l'identité des suspects.
L'ex-Premier ministre kosovar Ramush Haradinaj a démissionné en juillet 2019 de ses fonctions après avoir été convoqué par le tribunal spécial en tant que suspect.