Un outil de surveillance de masse. En Chine, la police collecte depuis la fin de l'année 2017 l'ADN de millions d'hommes et de garçons à travers le pays, via des prises de sang, dans le but affiché de construire une base de données génétique géante de sa population.
C'est ce que révèle un article du New York Times, publié mercredi 17 juin, se basant sur une étude de l'Institut australien de stratégie politique (ASPI). Dès 2013, Pékin a commencé à collecter l'ADN de la population des régions autonomes du Xinjiang, où vivent les Ouïghours, et du Tibet. Fin 2017, cette stratégie a changé d'échelle : le ministère chinois de la Sécurité publique a décidé de l'étendre à toute la population masculine du pays. Des prises de sang sont même pratiquées sur les jeunes garçons, dans les écoles maternelles.
Grâce à cette base de données, les autorités chinoises pourront retrouver les parents de n'importe quel homme, via un prélèvement de sang, de salive ou de tout autre matériel génétique. La Chine se défend de toute volonté de contrôle de sa population. Pékin assure que l'objectif de cette base de données est d'aider à retrouver plus facilement les criminels lors des enquêtes de police. C'est pourquoi seuls les hommes sont ciblés, car ils commettent plus de crimes selon les statistiques. Les autorités soulignent par ailleurs que les donneurs consentent à fournir leur ADN.
Mais les militants des droits humains en Chine dénoncent au contraire un outil liberticide et dangereux pour la démocratie. «La capacité des autorités à découvrir qui est le plus intimement lié à qui, étant donné le contexte de la punition de familles entières suite à l'activisme d'une seule personne, va avoir un effet paralysant sur la société dans son ensemble», déplore Maya Wang, chercheuse chinoise travaillant pour l'ONG Human Rights Watch (HRW), citée par le New York Times.
Quant à la soi-disant liberté de donner ou non son ADN, un témoignage recueilli par le quotidien américain montre qu'elle n'existe pas. Un homme de 31 ans, Jiang Haolin, a raconté que la police l'avait averti que, si son sang n'était pas collecté, il serait «black-listé», le privant lui et sa famille de certains droits comme celui de voyager ou d'aller à l'hôpital.
Déjà 100 à 140 millions de profils génétiques
Selon les estimations de l'Institut australien de stratégie politique, les autorités chinoises ont cherché à collecter depuis 2017 des échantillons ADN de 5 à 10 % de la population masculine chinoise, soit 35 à 70 millions de personnes. L'ensemble des 700 millions d'hommes chinois ne sont pas visés, car un échantillon de sang d'une seule personne peut révéler l'identité génétique de ses parents masculins.
Si l'on ajoute à ces 35 à 70 millions les 70 millions d'échantillons que Pékin possède déjà, la superpuissance asiatique pourrait déjà disposer du profil génétique de 105 à 140 millions de Chinois, soit la plus grande base de données ADN du monde, selon le centre de recherches australien.
Malgré l'accroissement des tensions entre la Chine et les Etats-Unis depuis l'élection de Donald Trump, une entreprise américaine, Thermo Fisher, participe à cette grande opération. Cette firme basée dans le Massachusetts a en effet vendu des kits de test ADN aux services de police d'au moins neuf comtés et villes chinoises selon des documents consultés par les auteurs de l'étude de l'ASPI. Une décision qui avait été critiquée à l'époque par plusieurs élus américains, sans faire changer d'avis la société. La soéiété américaine, qui nous a contacté suite à la publication de cet article, a tenu à nous faire savoir que ces kits permettaient effectivement de rassembler les informations relatives à l'ADN testé, mais qu'ils n'étaient «pas capables de faire la distinction entre les différentes ethnies du pays».