«Big Brother is watching you.» En Chine, une application éducative sur l'idéologie du président Xi Jinping et du Parti communiste, téléchargée par plus de 100 millions de personnes, permet aux autorités d'espionner les smartphones de ses utilisateurs et d'avoir accès à toutes leurs données personnelles, a dévoilé une étude américaine.
Concrètement, l'application Xuexi Qiangguo (un nom ambigu qui peut signifier «Etudier pour rendre le pays fort» ou «Etudier Xi, rendre le pays plus fort») installe automatiquement «l’équivalent d’un logiciel espion» (un «backdoor») sur le téléphone. Ce qui lui permet d'avoir un accès «superutilisateur» aux données contenues à l'intérieur, explique l'étude d'Open Technology Fund (OTF), un programme financé par le gouvernement américain militant pour un «internet libre», qui a réalisé ce rapport avec l'entreprise de cybersécurité allemande Cure53.
Ainsi, cela donne à l'application «le pouvoir de tout faire», comme «télécharger un logiciel, modifier des fichiers et des données, ou installer un enregistreur de frappe», un outil qui permet de voir ce que les personnes tapent sur leur smartphone (notamment les mots de passe). L'appli peut donc collecter des milliers de données personnelles : photos, vidéos, géolocalisation, activité internet, mais aussi enregistrements audio (l'appli peut activer cette option).
Elle récupère également les informations provenant de 960 autres applis (Airbnb, WhatsApp, Skype, Uber, Amazon Kindle, Temple Run, applis de paiement...). Mais l'étude n'a pas permis de découvrir comment les informations collectées ont été utilisées, même s'il n'y a pas de «raison légitime» pour qu'une appli de cette nature ait un accès aussi privilégié au téléphone de ses utilisateurs, soulignent les auteurs.
Une version numérique du «Petit livre rouge» de Mao
Cette application, lancée en janvier, a fait l'objet d'une publicité agressive de la part du gouvernement chinois cette année, lui permettant de devenir l'appli la plus téléchargée sur l'App Store chinois en février. Elle a dépassé en avril le cap des 100 millions de téléchargements, selon les médias d'Etat chinois. Elle a même été rendue obligatoire pour des millions de membres du Parti communiste chinois (PCC) et de fonctionnaires de l'exécutif, et est utilisée à partir de ce mois-ci pour tester la «loyauté» envers Xi Jinping de 10.000 journalistes d'Etat chinois.
A la gloire du président de l'empire du Milieu, à la tête du pays depuis 2013, Xuexi Qiangguo contient des articles d'actualité, des vidéos, des leçons d'histoire et des quiz sur la pensée de Xi Jinping, qui a été placée en 2017 au même niveau que celle de Mao Zedong, fondateur de la République populaire de Chine, dans la charte du PCC.
Il y a même un aspect de compétition, car les utilisateurs gagnent des «points d'étude» à chaque fois qu'ils lisent un article, répondent correctement à un questionnaire ou partagent une vidéo patriotique, et peuvent ainsi se comparer aux autres dans le classement et gagner des cadeaux. Un véritable outil de propagande pour le PCC, sorte de version numérique du Petit livre rouge, recueil des discours de Mao lancé juste après le début de la Révolution culturelle, en 1966.
Le bureau d'information du conseil d'Etat, un organe administratif chinois, a répondu au Washington Post que cette application ne contenait aucune des fonctionnalités décrites dans l'étude de l'OTF. De son côté, le géant chinois du web Alibaba, qui a collaboré au développement de l'application, a refusé de commenter.