Les forces kurdes et la Turquie se sont mutuellement accusées samedi de violer une trêve dans le nord de la Syrie, qui impliquait un retrait des forces kurdes de la région frontalière en échange de l'arrêt de l'offensive turque lancée le 9 octobre.
Un calme relatif semblait être revenu samedi dans la ville clé de Ras al-Aïn, après des affrontements sporadiques la veille au soir, a constaté un correspondant de l'AFP. Du côté turc de la frontière, une journaliste de l'AFP a toutefois entendu quelques coups de feu provenant de Ras al-Aïn. Le commandement général des FDS a dit samedi dans un communiqué son «engagement à respecter le cessez-le-feu». Mais un de leurs commandants, Redur Khalil, a indiqué à l'AFP que du «côté turc, on ne le respecte pas, ne permettant pas l'ouverture d'un couloir humanitaire pour sortir les blessés et civils bloqués dans la ville de Ras al-Aïn».
M. Khalil a estimé que Washington portait la responsabilité du «non-respect de l'accord, en sa qualité de garant et médiateur de la trêve» de cinq jours négociée par les Etats-Unis avec la Turquie et annoncée jeudi soir. Ankara de son côté a également accusé les forces kurdes de violer la trêve, alors que «les forces armées turques respectent totalement l'accord», a déclaré le ministère turc de la Défense dans un communiqué.
Le ministère a affirmé que «des terroristes (la Turquie qualifie ainsi les forces kurdes, ndlr) ont mené un total de 14 attaques dans les dernières 36 heures». Selon l'OSDH, 32 blessés, majoritairement des combattants, nécessitent des soins d'urgence et six combattants des FDS sont décédés samedi de leurs blessures, un convoi humanitaire n'ayant pu accéder à Ras al-Aïn.
Au sérieux
Le porte-parole des FDS, Kino Gabriel, a indiqué dans la nuit sur Twitter que «conformément à l'accord de cessez-le-feu (les FDS) sont désormais en position défensive sur toutes les lignes de front», sans dire clairement si elles ont entamé le retrait réclamé par la Turquie. «Nous répétons que nous ferons usage de notre droit légitime à l'autodéfense en cas d'attaque de la part des milices soutenues par la Turquie», a-t-il ajouté.
Vendredi, le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a pointé des problèmes de «coordination» pour assurer «un retrait sécurisé des combattants des YPG (Kurdes des Unités de protection du peuple, principale composante des FDS, ndlr) de la zone contrôlée par les Turcs couverte par l'accord». Il a dit espérer que, «dans les heures à venir» les Turcs et les combattants des YPG «prendront au sérieux les engagements qu'ils ont pris».
Les FDS ont également exhorté Washington à «faire pression sur le côté turc pour ouvrir le couloir (humanitaire)».
Raids meurtriers
Le cessez-le-feu semblait déjà fragile vendredi. Des frappes de l'aviation turque et des tirs d'obus des supplétifs syriens de l'armée turque ont provoqué la mort de 14 civils et de huit combattants des forces kurdes dans le village de Bab al-Kheir et ses environs du nord syrien, a annoncé l'OSDH. L'offensive lancée par Ankara le 9 octobre avec des supplétifs syriens a ouvert un nouveau front dans la Syrie en guerre depuis 2011, où les forces kurdes partenaires des Occidentaux dans la lutte contre le groupe Daesh ont accusé Washington de les avoir abandonnées.
L'offensive a permis aux forces turques et à leurs supplétifs syriens de conquérir une bande frontalière de près de 120 km, allant de la ville de Tal Abyad à Ras al-Aïn. L'accord turco-américain prévoit la mise en place d'une «zone de sécurité» de 32 km de largeur en territoire syrien, dont doivent se retirer les forces kurdes.
L'objectif est d'éloigner de la frontière la milice kurde des YPG, mais aussi d'y installer une partie des 3,6 millions de réfugiés syriens vivant en Turquie.
Vendredi, le président turc Recep Tayyip Erdogan a répété que cette zone devrait «s'étendre en longueur sur 444 km» et pas seulement dans les zones dont les forces turques ont pris le contrôle.
L'opération turque a déjà causé la mort de plus de 500 personnes, et, selon l'OSDH, 300.000 ont dû être déplacées. Le chef de file de la majorité républicaine au Sénat américain Mitch McConnell, qui avait déjà condamné la décision du retrait américain du nord-est de la Syrie, qui a coïncidé avec le lancement de l'offensive turque, l'a qualifiée vendredi de «cauchemar stratégique». «Cela va laisser le peuple américain et son territoire moins en sécurité, enhardir nos ennemis et affaiblir d'importantes alliances» a déclaré le sénateur, pourtant habituellement ferme soutien de Donald Trump.
Les Européens également s'inquiètent de cette offensive, craignant notamment un chaos qui profiterait aux combattants de Daesh. Les dirigeants allemand, français et britannique, Angela Merkel, Emmanuel Macron et Boris Johnson, ont prévu de rencontrer prochainement M. Erdogan. M. Macron a notamment qualifié vendredi «ce qui se passe» dans le nord de la Syrie de «faute lourde de l'Occident et de l'Otan dans la région».