Une annonce choc. Matteo Salvini, homme fort du gouvernement italien et patron de la Ligue (extrême droite), a décrété jeudi 8 août la fin de la coalition au pouvoir dans le pays, entre son parti et le Mouvement 5 Etoiles (M5S). Le ministre de l'Intérieur et vice-Premier ministre a réclamé l'organisation d'élections anticipées, déclenchant une crise politique surprise, en pleines vacances d'été.
quel a été le déclencheur de la crise politique ?
Ce n'était un secret pour personne, les relations entre la Ligue et le M5S, les deux partis membres de la coalition gouvernementale, étaient très compliquées. L'annonce de leur alliance après les législatives de mars 2018 avait énormément surpris, les deux forces n'étant pas vraiment du même bord politique : la Ligue se situe à l'extrême droite, quand le M5S est une formation antisystème et populiste, qui se dit «ni de droite ni de gauche». «Le ver était dans le fruit dès le départ», confirme Marc Lazar, professeur d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po et spécialiste de la politique italienne. Dès la mise en place de la coalition, en mai 2018, certains prédisaient déjà son éclatement.
Elle aura finalement tenu quatorze mois. Un peu plus d'une année durant laquelle les deux formations se sont opposées sur quasiment tous les sujets, au premier rang desquels la question migratoire, la réforme de la justice ou encore le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Lyon-Turin. C'est justement ce dernier dossier qui a entraîné officiellement la rupture entre les deux partis. Mercredi 7 août, au Sénat italien, le M5S s'est retrouvé seul à voter une motion contre cette liaison franco-italienne, trop coûteuse selon la formation de Luigi di Maio, tandis que la Ligue a apporté son soutien à deux motions de l'opposition en faveur du projet.
«Allons tout de suite au Parlement pour prendre acte qu'il n'y a plus de majorité (...) et restituons rapidement la parole aux électeurs», a ainsi exigé Matteo Salvini dans un communiqué publié de façon impromptue jeudi 8 août. «Il est inutile d'aller de l'avant avec des 'non' et des disputes, comme ces dernières semaines, les Italiens ont besoin de certitudes et d'un gouvernement qui travaille», a-t-il ajouté.
Pourquoi l'initiateur de cette rupture est matteo salvini ?
Entre la Ligue et le M5S, certains auraient plutôt parié sur le parti antisystème, fondé par l'humoriste Beppe Grillo, comme initiateur du divorce. En effet, depuis l'alliance entre les deux formations, le Mouvement 5 Etoiles est le parent pauvre de la coalition. Sur le plan médiatique, l'exubérant Matteo Salvini a rapidement pris l'ascendant sur l'autre vice-Premier ministre italien, le discret chef du M5S Luigi di Maio, en enchaînant les meetings et les déplacements, et grâce à son omniprésence sur les réseaux sociaux (1,1 million d'abonnés sur Twitter et plus de 3,7 millions sur Facebook).
Et sur le plan politique, le M5S a été contraint de renoncer à de nombreuses promesses de campagne, en raison de l'opposition de la Ligue. Par exemple, sur l'une de ses mesures phares, le revenu de citoyenneté, qui avait pour ambition d'être une sorte de revenu universel, la formation populiste a dû faire de nombreuses concessions, qui ont finalement fait de ce projet une simple allocation supplémentaire, assortie de nombreuses conditions.
Et c'est pourtant Matteo Salvini, le chef de la Ligue, qui a déclenché la crise. Pourquoi ? Selon Marc Lazar, c'est d'abord et avant tout car le Milanais de 46 ans «souhaite surfer sur ses récents succès électoraux et des sondages très favorables pour prendre seul la tête de l'Italie», en devenant président du Conseil. En effet, depuis les législatives de mars 2018, les courbes de la Ligue et du M5S se sont inversées.
Alors que la formation antisystème avait recueilli 32 % des suffrages à l'époque et la Ligue 17 %, cette dernière a obtenu lors des dernières élections européennes, en mai dernier, 34 % des voix, soit le double du M5S, tombé à 17 %. Et d'après les derniers sondages, la Ligue pourrait obtenir en cas d'élections législatives anticipées 36 à 38 % des voix, ce qui lui permettrait potentiellement de gouverner seule, ou avec l’appui déjà quasiment acquis du parti néo-fasciste Fratelli d’Italia.
D'après Marc Lazar, une autre raison a poussé Matteo Salvini à déclencher cette crise maintenant : «la forte pression au sein de la Ligue pour casser la coalition, notamment de la part des présidents de Lombardie et de Vénétie, qui réclament plus d'autonomie pour leur région». Matteo Salvini y est favorable, mais pas le Mouvement 5 Etoiles, qui bloque le projet.
Quels scénarios pour la suite ?
Cette annonce de Matteo Salvini a provoqué une crise politique inédite, en plein été, alors que les parlementaires étaient encore en vacances. Son issue est incertaine, mais plusieurs scénarios se dessinent.
Après les déclarations du patron de la Ligue, son parti avait rapidement déposé une motion de censure pour accélérer la chute du gouvernement de Giuseppe Conte. Mais ce projet a été rejeté par le Sénat ce mardi 13 août, un véritable camouflet pour le «Capitaine», le surnom de Matteo Salvini. Les sénateurs ont en revanche demandé à Giuseppe Conte de venir s'exprimer au Parlement le 20 août prochain, pour tenter de dénouer la crise.
Ce scrutin au Sénat, qui a vu le M5S et le Parti démocrate (PD, centre gauche) de l'ancien chef du gouvernement Matteo Renzi voter ensemble, a renforcé l'hypothèse d'une alliance entre les deux partis, pour constituer une majorité alternative à celle qui a gouverné le pays jusqu'à présent, entre le M5S et la Ligue. Un scénario qui pourrait déboucher sur la nomination d'un nouveau gouvernement, qui pourrait être soit un exécutif remanié, formé de ministres M5S, appuyé par le PD et d'autres formations de gauche, soit un gouvernement provisoire «technique», composé de technocrates et non de politiques, chargé d'adopter le budget 2020 (en septembre et octobre prochains) et de préparer de nouvelles élections, qui pourraient se dérouler au début de l'année prochaine.
Mais Matteo Salvini est loin d'avoir dit son dernier mot. Il veut à tout prix que des élections anticipées aient lieu le plus rapidement possible. Les dimanche 13, 20 et 27 octobre sont évoqués. En effet, selon Marc Lazar, «il veut pouvoir écrire seul la loi de finances 2020 (qui fixe le budget italien pour l'an prochain, NDLR), de façon à donner plus de marges de manoeuvre budgétaires à l'Italie». Un travail qui se fait chaque année à la rentrée, entre septembre et octobre. Le chef de la Ligue a donc tenté le tout pour le tout mardi, en proposant à ses anciens alliés du M5S de voter ensemble, «la semaine prochaine», la réduction du nombre de parlementaires voulue par le parti antisystème, en échange d'élections anticipées «juste après».
Mais un autre homme pourrait entraver le plan du «Capitaine» : le président de la République, Sergio Mattarella. «Lui seul a le pouvoir de dissoudre le Parlement», qui entraînerait la convocation d'élections dans un délai maximum de 70 jours, précise Marc Lazar. Sergio Mattarella s'est déjà dit opposé à l'organisation d'un scrutin législatif en octobre, en pleines discussions sur le budget. Pour lui, l'Italie doit se concentrer exclusivement sur les négociations avec l'Union européenne à ce sujet, qui promettent d'être épineuses. La troisième économie de la zone euro est en effet très endettée (la dette publique dépasse les 134 % du PIB), et doit résoudre l'équation impossible de rester dans les clous fixés par l'UE, au risque sinon de se voir retoquer son budget, comme en 2018. D'ici au 20 août et au discours de Giuseppe Conte devant le Sénat, le jeu reste donc très ouvert.