Manque de fonds, incurie des pouvoirs publics, protestations de chercheurs et d'étudiants devant le site calciné: le gigantesque incendie du Musée National de Rio de Janeiro a provoqué une vive polémique lundi au Brésil.
«Il ne suffit pas de pleurer. (...) Il faut que la population soit indignée. Une partie de cette tragédie aurait pu être évitée», a déclaré Alexandre Keller, directeur de musée, devant les décombres fumants de l'ancien palais impérial du XIXe siècle.
«Le gouvernement doit aider le musée à reconstruire son histoire», a-t-il ajouté, pointant du doigt le manque de fonds alloués à l'entretien, en raison selon lui de coupes budgétaires.
Une centaine d'étudiants et chercheurs liés au musée, la plupart vêtus de noir, étaient rassemblés lundi matin devant l'édifice, entre colère et émotion, applaudissant dès qu'un objet était sorti des décombres.
Considéré comme le plus grand musée d'histoire naturelle d'Amérique Latine, le Musée national, qui a fêté en juin son bicentenaire, abritait environ 20 millions de pièces de valeur inestimable et une bibliothèque de plus de 530.000 titres.
Un des seuls vestiges préservés est l'énorme météorite de plus de cinq tonnes qui trône toujours devant l'entrée, désespérément seule au milieu des cendres et des murs calcinés.
«Perte incommensurable»
Après avoir passé une bonne partie de la nuit à combattre les flammes, les pompiers tentaient en matinée de sauver ce qui pouvait l'être.
L'incendie, dont les causes n'ont toujours pas été déterminées, a débuté dimanche vers 19H30 locales (22H30 GMT) et s'est vite propagé dans les trois étages de l'édifice, dont la structure était surtout composée de bois et autres matériaux particulièrement inflammables.
«Nous allons procéder avec beaucoup de précaution pour voir si nous arrivons à sauver quelque chose. Je ne sais pas encore si une salle a été préservée», a expliqué un porte-parole des pompiers à l'AFP.
«Nous croyons que des objets gardés dans un coffre au troisième étage ont pu être préservés», a affirmé Gustavo Lourenço, employé du musée.
Antônio Gambine Moreira, responsable de la planification et des finances de l'Université UFRJ, qui gère le musée, a indiqué que quelques pièces avaient pu être récupérées au sous-sol.
Mais il a souligné qu'il s'agissait d'une partie insignifiante au vu de tout ce qui a été détruit, évoquant «une perte incommensurable».
Parmi les pièces inestimables qui sont parties en fumée, une collection égyptienne, une autre d'art et d'artéfacts gréco-romains, des collections de paléontologie comprenant le squelette d'un dinosaure trouvé dans la région de Minas Gerais, ainsi que le plus ancien fossile humain découvert au Brésil, connu sous le nom de «Luzia».
«Je suis venu dire au revoir», a commenté sobrement un étudiant, avant d'enlacer un collègue, comme lui ému aux larmes.
«C'est le Brésil tout entier qui part en fumée, c'est une catastrophe indescriptible pour ceux qui défendent l'histoire et la culture», a déclaré à l'AFP Valeria Rivera, technicienne de restauration, qui travaillait au musée depuis 2012.
«Perte pour l'humanité»
L'éditorial du journal O Globo dénonçait une «tragédie prévisible» : «La dégradation du musée et sa transformation en cendres tirent de façon stridente la sonnette d'alarme sur la nécessité de redéfinir les priorités budgétaires».
Plombé par une dette publique abyssale et des scandales de corruption à répétition, le Brésil, qui sort timidement d'une récession historique, a effectué ces derniers mois de nombreuses coupes budgétaires dans les secteurs de la recherche, de la culture et de la science.
Le ministre de la Culture Sergio Sa Leitao a reconnu que «la tragédie aurait pu être évitée» et que «les problèmes s'étaient accumulés au fil du temps» pour l'établissement.
Il y a trois mois, à l'occasion du bicentenaire, le Musée national avait obtenu un financement de 21,7 millions de réais (environ 4,51 millions d'euros) de la banque publique BNDES pour contribuer à la restauration du bâtiment.
«Ce n'est pas seulement une perte pour le Brésil, c'est une perte pour l'humanité en général» car «toute une partie de ce patrimoine n'était pas archivée ailleurs», a déploré le président du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) français Bruno David.