Volodymyr Korkoch appuie sur la pédale et lance sa jeep entre les cratères remplis d'eau qui jonchent le chemin. «La plupart du temps, on arrive deux à trois minutes trop tard», déplore ce policier ukrainien. Sa cible : les groupes locaux qui extraient illégalement de l'ambre.
Son unité mène des raids quotidiens pour les traquer dans les environs de Kryvytsia, village du nord-ouest de l'Ukraine.
Autrefois riche site forestier, la zone a été transformée en paysage lunaire avec marécages et trous béants sur des centaines de mètres, preuves flagrantes du travail de centaines de prospecteurs illégaux.
Les habitants locaux surnomment l'endroit «Klondike» en référence à la rivière canadienne le long de laquelle de l'or avait été découvert au 19e siècle, provoquant une ruée massive. Il s'agit de l'un des nombreux sites recelant de l'ambre en Ukraine, qui revendique les deuxièmes plus grandes réserves au monde -- 15.000 tonnes concentrées dans les régions de Jitomir, Rivné et Volynie (nord-ouest) -- après la Russie, et 30% à 40% de la production mondiale.
L'ambre est une résine d'arbre translucide, fossilisée au cours de millions d'années, et dont la couleur varie du jaune pâle au marron foncé. Elle est souvent utilisée en tant que gemme dans l'orfèvrerie.
Portés par une demande accrue en Chine, les prix de l'ambre ont quadruplé ces dernières années, ce qui a dopé la production illégale en Ukraine, avec de graves conséquences pour l'environnement.
Police bloquée
Seules quatre tonnes d'ambre ont été exploitées légalement en Ukraine en 2015, selon les données les plus récentes disponibles. Une quantité négligeable par rapport à la production illégale estimée entre 120 et 300 tonnes, rachetée par des contrebandiers.
L'ampleur du fléau est telle que Kiev, déjà en proie à un conflit avec des séparatistes prorusses dans l'Est, a mobilisé en 2015 et 2016 à plusieurs reprises sa Garde nationale dans les lieux les plus touchés, pour intervenir face à prospecteurs illégaux qui bouclaient des zones entières et empêchaient l'accès de la police.
«L'Etat enregistre un manque à gagner énorme. De plus, on peut d'ores et déjà parler d'un désastre environnemental», a déclaré à l'AFP le Service d'Etat ukrainien pour la géologie.
Travaillant par groupes de cinq à dix personnes, les mineurs utilisent de puissantes pompes artisanales et de larges tuyaux pour envoyer de l'eau jusqu'à dix mètres sous le sol, faisant remonter un mélange d'argile, de sable et de pierres, dont ils extraient au final l'ambre.
Cette méthode provoque l'érosion des sols fertiles au point que les arbres ne peuvent plus y pousser.
Les prospecteurs illégaux ont également déforesté de larges pans boisés pour faciliter l'accès aux sites riches en ambre.
«Certaines personnes vivent ici sous le seuil de pauvreté», explique à l'AFP Oleg, un mineur illégal de 28 ans, qui a exercé ce métier pendant quatre mois en 2016 dans sa région natale de Jitomir.
C'est l'appât du gain rapide et important qui les pousse vers cette prospection illégale.
Elle rapportait à Oleg environ 250 euros en cinq jours, contre un salaire mensuel de 6.000 hryvnias (187 euros) dans son ancienne profession d'employé à Kiev.
«J'avais peur en permanence, mais l'adrénaline et le goût de l'argent ont compensé toutes mes craintes», témoigne-t-il, refusant de donner son nom de famille.
«Dégâts irréversibles»
Volodymyr Korkoch dirige une équipe d'environ 200 policiers envoyés en renfort depuis mars dans la région de Rivné. La traque des mineurs illégaux donne cependant peu de résultats : le temps d'accéder aux zones d'extraction illégales, souvent éloignées, les contrebandiers ont généralement déjà disparu.
Mais «nous menons des opérations sur les sites de minage illégal et documentons les infractions. Et lorsque nous venons, au moins, la prospection s'arrête», explique M. Korkoch à l'AFP. Il se tient devant un trou récemment creusé, arrivé une fois encore quelques minutes trop tard pour attraper les responsables.
L'ambre peut rapporter jusqu'à 30 dollars par gramme selon sa qualité, souligne Serguiï Martiniouk, vice-directeur de la seule entreprise publique d'extraction de la résine en Ukraine. La prospection illégale via des jets d'eau à haute pression fissure toutefois la résine, ce qui abaisse son prix.
Face à la crise, Kiev envisage de légaliser la prospection à condition notamment que les mineurs paient des impôts et qu'on tende vers un procédé moins dommageable pour l'environnement.
Un projet de loi censé simplifier la procédure très complexe de délivrance des permis d'exploitation est toutefois encore bloqué au Parlement.
«Le texte ne résoudra sans doute pas tous les problèmes d'un coup», concède le vice-gouverneur de la région de Rivné, Igor Tymochenko. Il pourrait néanmoins «créer des emplois légaux». Et, espère-t-il, «changer les méthodes de prospection actuelles, qui causent des dégâts irréversibles aux terres de la région».