A Paris, c'en est fini des tours de plus de 37 mètres, des constructions de bureaux à l'ouest et dans le centre, des nouveaux meublés touristiques ou encore des «dark stores»... Autant de nouvelles règles qui préfigureront ce à quoi ressemblera la capitale jusqu'en 2050, alors qu'un accord de majorité semble avoir été trouvé dans le cadre de la révision du plan local d'urbanisme (PLU).
Une «belle victoire collective» : ce sont en ces termes que le premier adjoint à la mairie de Paris Emmanuel Grégoire a salué l'accord trouvé par la majorité municipale autour de la révision de son plan local d'urbanisme (PLU). De nouvelles règles urbanistiques qui devront permettre, selon l'élu socialiste, «de répondre à l'urgence d'adapter la ville pour pouvoir y vivre malgré les changements de températures et à celle de pouvoir se loger à des prix abordables», «de nous armer pour protéger les Parisiens face aux dérives du marché» mais aussi «de mieux protéger les arbres et les espaces verts, d'imposer les règles de surcompensation et la possibilité de créer de nouveaux grands parcs».
De nouvelles règles contraignantes
Un «PLU de rupture», selon les élus écologistes, qui se sont félicités vendredi dernier d'en avoir écrit les grandes lignes. «Il n'y a pas une ligne que nous n'ayons pas relue et corrigée, voire écrite de nos mains», a ainsi fait savoir Emile Meunier, élu écologiste dans le 18e et président de la commission urbanisme et logement au Conseil de Paris, expliquant avoir voulu édicter des règles ambitieuses pour imaginer un PLU dit «bioclimatique» et s'opposer ainsi «aux lobbies du béton, de l'immobilier et de l'argent».
Les écologistes donnent leur feu vert au futur PLU Bioclimatique.
Un PLU de rupture pour adapter Paris à 50 °C et lutter contre la spéculation.
La majorité doit être soudée face aux puissants lobbies du béton et adversaires du logement social. pic.twitter.com/63xAb1MEX4— Emile Meunier (@emilemeunier) April 7, 2023
Sans doute les plus symboliques, les nouvelles règles en matière de logement vont fortement contraindre les constructions à venir, avec l'interdiction d'ériger des tours de plus de 37 mètres de haut – la tour Triangle sera la dernière en la matière – ou des immeubles-ponts, l'interdiction de construire de nouveaux bureaux dans le centre et l'ouest de Paris, l'interdiction de créer de nouveaux meublés touristiques professionnels dans les immeubles d'habitation et dans les secteurs touristiques ou encore l'obligation de réserver 30 à 50 % de logements sociaux dans toute nouvelle construction de plus de 500 m2 là où leur proportion est insuffisante.
En outre, pas moins de 1.000 immeubles privés ou de bureaux ont été «pastillés». C'est-à-dire que dès le moindre changement dans l'immeuble pastillé, qu'il s'agisse d'une vente, de travaux ou encore de changement de destination, de bureaux en logements par exemple, la municipalité parisienne se réservera le droit d'y imposer un certain quota de logement social, voire même de préempter. «Toute réhabilitation d'immeubles de bureaux, même une simple mise aux normes, devra obligatoirement prévoir la transformation de 10 % de cette surface de bureaux en logements», explique Emile Meunier.
Autres règles symboliques : celles concernant les espaces verts. Dans cette mouture, le PLU prévoit que chaque parcelle de plus de 150 m2 devra inclure de 30 à 65 % de pleine terre au sol, un taux proportionnel à la taille du projet. La nouvelle mouture prévoit également d'atteindre les 40 % de terre perméable d'ici à 2050, de créer 300 hectares d'espaces verts ouverts au public en plus d'ici à 2040. Soit 10 m2 d'espaces verts par habitant, comme le préconise l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Afin de «lutter contre la surdensification», présentée comme le «combat historique des écologistes», le PLU prévoit la diminution de la constructibilité, la limitation des hauteurs à 37 mètres mais aussi la diminution des hauteurs maximum dans les rues inférieures à 12 mètres de large. Par ailleurs, les surélévations seront désormais soumises à certaines conditions, parmi lesquelles la création de 30 à 50 % de logements sociaux dès la construction de 500 m2, l'amélioration des qualités environnementales du bâtiment ou encore la bonne intégration à l'architecture de la rue.
Enfin, le PLU «bioclimatique» veut interdire les constructions à moins de 25 mètres de part et d'autre du boulevard périphérique, tout comme l'installation de «dark stores» et «dark kitchens» à la place des commerces de la capitale, mais aussi protéger la Petite Ceinture, avec le classement des talus en espaces boisés classés et des secteurs de renforcement végétal. Si la SNCF, qui est propriétaire de certains tronçons, reste décisionnaire, elle ne pourra couper le moindre arbre «sans déclaration préalable».
Un «moment très historique»
«Nous sommes à un moment très historique dans l’histoire récente de cette majorité», se réjouit David Belliard, l'adjoint à la mairie de Paris chargé de la transformation de l'espace public et des mobilités, qui explique que le PLU «différenciait» les élus écologistes d'un grand «nombre de [leurs] partenaires». «Il se trouve que nous avons renversé le rapport de force, car aujourd'hui, les amendements viennent du Parti socialiste parce que c’est nous qui écrivons le PLU», poursuit l'élu écologiste.
«C'est le fruit d’un travail de fond sérieux et important, fourni par les maires d'arrondissement et tous les groupes de la majorité : Paris en Commun, les Ecologistes et le groupe communiste», tempère Emmanuel Grégoire, qui émet tout de même une condition. «Nous sommes prêts à proposer la suppression de l’immeuble-pont de la Porte de Montreuil à condition que la mise en œuvre du projet global ne soit pas mise en danger», prévient-il, alors que les élus écologistes ont tout fait pour réduire à peau de chagrin ce projet immobilier porté par Nexity et soutenu par les socialistes et les communistes.
Ces derniers, par la voix de leur président Nicolas Bonnet-Ouladj, ont eux aussi appelé les écologistes à «ne pas mettre en otage la porte de Montreuil». «Il faut absolument qu'elle soit réaménagée lors de cette mandature», avance le président des élus communistes au Conseil de Paris, se disant «prêt à statuer sur un amendement pour abandonner l'immeuble-pont», à la condition «qu'on réalise absolument l'immeuble situé au-dessus des puces côté 20e». Avant de conclure : «il y a une attente très forte des habitants du 20e».
Un PLU effrayant pour les investisseurs ?
De leur côté, les élus de l'opposition, au premier rang desquels ceux du groupe Changer Paris présidé par la maire du 7e Rachida Dati, expliquent préparer leur propre mouture, contre-projet de celui présenté par les élus écologistes. Eux craignent notamment que les contraintes qui pèsent sur les promoteurs et autres investisseurs soient tellement lourdes avec ce nouveau PLU que cela stoppera ces derniers d'investir à Paris, voire même les freinera d'entreprendre les moindres travaux.
«Le rôle des pouvoirs publics est de favoriser la transformation de bureaux en logements par un accompagnement des acteurs et non par la contrainte, comme l’envisage la Ville de Paris», avance Valérie Montandon, élue dans le 12e et membre du groupe Changer Paris, qui déplore par exemple qu'«en obligeant les propriétaires d’immeubles tertiaires à construire lors de rénovation 10 % de logements, la Ville de Paris engendre le statu quo des passoires thermiques qui représentent une grande part des émissions de gaz à effet de serre».
Des craintes partagées par Jean Laussucq, élu dans le 7e et chargé de l'urbanisme dans cet arrondissement où les hôtels particuliers côtoient les immeubles haussmanniens. «Pensez-vous que les investisseurs vont racheter des immeubles plusieurs millions d'euros s'ils sont obligés de faire du logement social à l'intérieur ?», s'interroge-t-il, persuadé que ces nouvelles règles vont faire perdre de la valeur à certains bien immobiliers. Selon lui, les immeubles «pastillés» – sur lesquels la municipalité parisienne se réserve un droit de regard et de préemption – vont forcément être dévalués.
Quoi qu'il en soit, le nouveau PLU est désormais prêt «à partir en enquête publique» vraisemblablement «au mois de septembre» préviennent les élus écologistes. Le texte sera tout de même présenté avant ça à l'ensemble des élus parisiens lors du prochain Conseil de Paris qui doit s'ouvrir mardi 6 juin.