La suppression de l'Ecole nationale d'Administration (ENA), dans les tuyaux depuis plusieurs mois, doit être officiellement annoncée aujourd'hui par Emmanuel Macron. L'établissement, régulièrement critiqué pour son manque de méritocratie, devrait être remplacé par une nouvelle école de services publics destinés aux cadres.
Si la proposition de supprimer l'établissement, perçu pour beaucoup comme une machine à fabriquer des élites déconnectées du terrain, revient régulièrement dans le débat public, peu de chefs d'Etat s'y étaient auparavant confrontés.
Emmanuel Macron, lui-même passé par l'ENA, avait déjà assuré, en février dernier, vouloir ouvrir les grandes écoles de la haute fonction publique au élèves d'origine «modeste».
AUJOURD'HUI L'ENA C'EST QUOI ?
L'école, basée à Strasbourg, a été créée en 1945 par le Gouvernement provisoire de Charles de Gaule pour démocratiser l'accès à la fonction publique d'Etat (l'une des trois fonctions publiques avec le secteur territorial et hospitalier).
La sélection des heureux élus s'effectue par quatre concours différents, notamment le prestigieux concours externe qui recrute chaque année une quarantaine d'étudiants, issus dans leur quasi-totalité de Sciences Po.
Or, comme dans toutes les grandes écoles, ce mode d'admission ne permet pas d'assurer une complète égalité des chances et favorise les élèves issus des classes dites supérieures. En 2015, une étude de Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS (Sciences Po - Cevipof), révélaient que 7 admis sur 10 étaient des enfants de cadres.
C'est à ce manque de diversité que le chef de l'Etat compte remédier. Aujourd’hui, «c’est beaucoup plus difficile pour un fils d’ouvrier ou d’agriculteur d’accéder à ces grandes écoles que lorsqu’elles ont été bâties, pendant les 30 Glorieuses (de l'après-guerre au milieu des années 1970)», s’est désolé Emmanuel Macron en février.
Pour Luc Rouban, spécialisé dans l'étude de la transformation du secteur public, ce n'est pas le seul défaut de l'école : «L'ENA forme des élèves à qui l'on confie, dès leur sortie d'école, au bout de trois/quatre ans, des fonctions de direction importantes. On retrouve donc à des postes de direction générale des personnes qui n'ont même pas 30 ans, sans expérience professionnelle, ni connaissance du terrain.»
Une grande école de services publics
Plus que de faire changer l'école de nom, l'ENA, l'Ecole de la magistrature et d'autres grandes écoles pourraient être remplacées par un grand institut des services publics ouvert à tous les fonctionnaires déjà en poste, quel que soit leur rang.
Le recrutement automatique des diplômés fraîchement sortis de l'ENA dans les grands corps de l'Etat, comme le Conseil d'Etat ou la Cour des comptes, serait donc supprimé.
«Une sélection sur dossier pourrait cibler des cadres déjà titulaires de la fonction publique, avec cinq, dix ans d'expérience pour les former à des fonctions dirigeantes pour ensuite trouver un employeur dans les directions générales, les ministères», précise Luc Rouban, citant le modèle de l'Ecole de guerre.
Les officiers supérieurs des armées françaises - pas de jeunes étudiants donc mais des militaires avec de l'expérience - qui se sont distingués au cours de leur carrière sont ainsi sélectionnés pour être formés et devenir les potentiels futurs chefs militaires.
Une refonte de la sélection qui va de pair avec la réforme de la fonction publique amorcée durant le quinquennat d'Emmanuel Macron. Dans une volonté de «diversifier les viviers de recrutement», le gouvernement avait annoncé vouloir recourir davantage à des contractuels dans la fonction publique, soit des employés qui ne détiennent pas le statut de fonctionnaire mais représentent déjà 20% des troupes de la fonction publique.
«A condition que le salaire suive et que les carrières soient bien organisées, une nouvelle école permettrait d'attirer plus de cadres issus du privé», souligne le chercheur au Cevipof, Luc Rouban, et ainsi diversifier d'autant plus le recrutement dans le secteur encore très élitiste des hauts fonctionnaires.