Après le «chemin de croix» de la campagne, la crucifixion des urnes. LREM et sa candidate Agnès Buzyn se sont effondrés au deuxième tour des municipales à Paris. Au lendemain de cette déroute à peine croyable, l'heure est aux doutes.
Ce lundi matin, les boucles Telegram sont silencieuses, les macronistes groggys. Alors certains en profitent pour faire ce qu'ils n'ont pas eu le temps ces dernières semaines : dormir un peu, prendre du temps pour soi, appeler les proches...
«Beaucoup ont le moral dans les chaussettes, ils se sont beaucoup investis», commente l'un d'eux. «Tous ont besoin de souffler, de digérer un peu. C'est logique», reconnaît Deborah Pawlik, proche d'Agnès Buzyn et sa co-listière dans le 17e arrondissement.
pas de poste d'élu pour Agnès Buzyn
Peu après l'annonce des résultats et sa prise de parole officielle, la candidate LREM a réuni son équipe du 17e dimanche soir dans un café, pour les remercier. Son état ? «Elle était en forme, comme on peut l'être un soir de... Bref, avec ces résultats...», élude Deborah Pawlik.
Dans l'ensemble de Paris, LREM n'engrange que 13,3 % des voix, très loin derrière les 33,8 % de Rachida Dati (LR) et surtout les 48,7 % d'Anne Hidalgo (PS). Pire, Agnès Buzyn, comme plusieurs figures macronistes, n'a même pas obtenu de poste dans les arrondissements pour siéger au conseil de Paris.
Le parti présidentiel est seulement parvenu à sauver deux mairies d'arrondissement (5e et 9e), et encore, grâce à deux élues ex-LR . Solidement implantées dans la capitale, elles ont pu capitaliser sur leur propre image, et non pas sur celle d'Emmanuel Macron. Idem pour Pierre-Yves Bournazel, seul élu LREM dans un arrondissement de gauche, le 18e.
Raz-de-marée contre tsunami
Le raz-de-marée macroniste n'a donc pas eu lieu. A la place, «un tsunami est passé et a tout renversé. Mais c'est collectif. Les gens qui commencent à dire que c'est la faute de LREM, de Buzyn, ça ne veut rien dire. Les raisons sont plus profondes, remontent peut-être à des choix stratégiques de plusieurs mois ou plusieurs années», commente un macroniste.
Il y a peu, l'élection était pourtant considérée par certains marcheurs comme «imperdable». «Paris était une zone de force pour LREM», abonde Frédéric Dabi, le directeur général adjoint de l'IFOP. Le parti d'Emmanuel Macron sortait de scores convaincants dans la capitale aux présidentielles de 2017 (35 %) et aux européennes de 2019 (près de 33 %).
Les premiers sondages donnaient ainsi Benjamin Griveaux, encore porte-parole du gouvernement, largement en tête dans la capitale. En mars 2018, il était crédité de 32 % au premier tour, devant Anne Hidalgo (29 %). «Benjamin Griveaux prenait déjà les mesures du bureau de maire de Paris», raille désormais Jean-François Martins, l'un des porte-paroles d'Anne Hidalgo.
Le tournant benjamin griveaux
L'un des tournants a lieu le 9 juillet 2019, lors de la Commission nationale d'investiture (CNI) d'En Marche. Les 16 membres qui la composent optent – à l'unanimité – pour Benjamin Griveaux, aux détriments de cinq autres candidats.
Une décision dont les conséquences ont pesé jusqu'au bout de l'élection, entraînant notamment la dissidence de Cédric Villani. «Dans cette CNI, il y avait les racines de la défaite d'aujourd'hui. Ce score soviétique a sans doute eu pour but d'humilier Cédric Villani, et visait une stratégie dont on voit désormais qu'elle n'était pas la bonne,», déplore-t-on dans l'entourage du scientifique.
Sur le plan mathématique, le médaillé Fields a privé le parti présidentiel d'une partie de ses électeurs. Politiquement, il a bouché l'espace de centre-gauche et contraint LREM à un duel périlleux avec la droite de Rachida Dati. Enfin, cette division a entaché durablement l'image de rassemblement du parti et de Benjamin Griveaux.
«Le choix de considérer que Paris était gagné un an avant, et qu'on pouvait verrouiller de l'intérieur sa candidature, ça n'a pas marché», regrette un macroniste.
départ sous De mauvais auspices
La campagne officielle du nouveau candidat commence sous de mauvais auspices : quelques jours à peine après sa désignation, ses propos violents contre ses adversaires fuitent dans la presse. Elle ne se poursuit guère mieux, avec les critiques qui s'abattent sur certaines mesures de son programme (la gare de l'Est remplacée par un Central Park). Avant l'épisode des vidéos intimes. Le jour de la Saint-Valentin, Benjamin Griveaux, qui a entraîné le camp macroniste dans sa chute, démissionne.
Agnès Buzyn reprend le flambeau, avec un style «bienveillant» qui tranche avec celui de son prédécesseur. Mais l'épée de Damoclès du coronavirus, alors que la France n'est même pas entrée dans le stade 1 de l'épidémie, pèse déjà au-dessus de la tête de l'ex-ministre de la Santé.
De plus, la nouvelle candidate, contrainte de garder la majeure partie d'un programme qu'elle n'a pas choisi et dont c'est la première campagne, peine à convaincre. Dès le premier tour, elle est distancée avec 17 % des voix, contre 22 % à Rachida Dati et 29 % pour Anne Hidalgo.
Une Fin de campagne crépusculaire
Le lendemain, coup de blues, Agnès Buzyn s'épanche dans le Monde, critiquant «la mascarade» que représente la tenue de ces élections en pleine progression de l'épidémie. Pendant le confinement, elle disparaît des radars, «se réfugiant» dans son univers, l'hôpital, pour soigner des malades. S'ensuit un interminable silence radio entre le 16 mars et le 26 mai, date à laquelle elle lève enfin les (gros) doutes sur le maintien de sa candidature.
La campagne s'achève dans la morosité chez LREM. Jeudi 25 juin, à trois jours du vote, une réunion avec la presse au QG de Montparnasse réunit davantage de responsables politiques que de journalistes. Les bureaux sont quasi-déserts. L'ambiance est à la fin de règne avant même qu'il ait commencé.
«Rome ne s'est pas fait en un jour. Nous sommes un jeune mouvement, qui n'a que trois ans d'existence. Nous avons eu beaucoup de vent contraire. C'est l'apprentissage de l'ancrage local», plaide Deborah Pawlik.
«Pour ces gens qui se voyaient en haut de l’affiche, c'est violent. J'ai rarement vu un retournement de situation aussi fort», témoignait récemment Jean-Pierre Lecoq, l'expérimenté maire LR sortant (et réélu) du 6e arrondissement. «Ils s'y prennent tellement mal qu'on peut déjà dire qu'ils ont perdu les régionales».
Car c'est le problème avec la politique, on n'arrête jamais de porter sa croix.
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