Cinq ans après la mort de l'antifasciste Clément Méric lors d'une rixe avec des militants d'extrême droite, la tension entre les deux camps reste vive, nourrie par plusieurs incidents récents autour des universités.
Samedi, comme chaque début juin ces dernières années, des sympathisants d'extrême gauche défilent à Paris et en province en hommage à ce jeune militant tué à l'âge de 18 ans le 5 juin 2013 à Paris, après une brève bagarre entre des «skinheads» et des «antifas» qui s'étaient rencontrés par hasard.
Sa mort, qui avait suscité une forte émotion, «reste un traumatisme pour les "antifas"», explique à l'AFP Sylvain Boulouque, historien de la gauche radicale.
Quatre skinheads, dont les deux principaux suspects, Esteban Morillo et Samuel Dufour, membres du mouvement d'extrême droite «Troisième voie», doivent être jugés aux assises dans cette affaire à une date qui doit être fixée prochainement.
Ces derniers mois, les deux camps se sont beaucoup croisés lors des blocages d'université contre la réforme de l'accès à l'enseignement supérieur, avec des échauffourées à Lille, Montpellier ou Paris.
Au point que début avril, après des incidents à la faculté parisienne de Tolbiac, la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal a déploré «le retour d'une certaine extrême gauche» et d'une «certaine extrême droite».
«Il y a une petite résurgence. Mais il y avait bien plus d'affrontements et de violence de rue dans les années 70 et 80», relativise Sylvain Boulouque.
«En vérité, la rue n'existe plus», admet auprès de l'AFP Serge Ayoub, alias «Batskin», ancien meneur des skinheads parisiens.
La gauche radicale (anticapitalistes, antifascistes, anarchistes...) «reste faible numériquement», note M. Boulouque. Selon une source policière, son «noyau dur» ne dépasse pas «200 à 300» militants.
«Le nombre de nos sympathisants augmente en réaction aux politiques inégalitaires du gouvernement. Mais la répression des autorités a contribué à en décourager certains», admet une militante «antifa» sous couvert de l'anonymat.
«Goût amer»
Matraques, canons à eau, interpellations massives, prison ferme parfois.... «Je ne viens plus en manif de la même manière qu'il y a cinq ans, il y a beaucoup plus de risques», explique-t-elle à l'AFP.
Dans les manifestations, les antifas sont de fait désormais éclipsés par des militants d'extrême gauche plus radicaux, notamment les «black blocs» qui ont perturbé le défilé du 1er-Mai en attaquant certaines enseignes et se confrontant aux forces de l'ordre.
«Cinq ans après la mort de Clément, ça laisse un goût amer dans la bouche, d'autant qu'au même moment, le gouvernement laisse l'extrême droite attaquer ou provoquer en toute impunité», affirme à l'AFP Agathe, membre du «Collectif Clément Méric».
Cette militante cite en exemple l'intrusion, fin mars à la faculté de droit de Montpellier, d'hommes cagoulés venus expulser des étudiants qui occupaient un amphi. «Aucun n'a été identifié», souligne-t-elle. «La menace de violences d'extrême droite augmente, et ça nous inquiète.»
Interrogé sur les incidents avec l'extrême gauche, Serge Ayoub botte en touche. «Les antifas, c'est quoi ? En Ile-de-France, c'est 25 personnes sur 10 millions d'habitants. C'est rien du tout», dit-il.
Les identitaires restent eux aussi cantonnés au stade groupusculaire, malgré l'essor du FN dont certains sont proches, et la mort de Clément Méric n'y est pas étrangère.
Alors que leurs militants étaient à l'époque très mobilisés contre le mariage pour tous, le drame a conduit les autorités à dissoudre plusieurs groupes d'ultra-droite : «Troisième voie», qui réunissait quelques centaines de militants; les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) de Serge Ayoub; L'Oeuvre française, groupuscule pétainiste et antisémite, et les Jeunesses nationalistes.
«Ça a mis un coup à l'ultra-droite, qui peine depuis à se restructurer» et reste «très éparse», estime la source policière.
«Il y a une répression trop lourde, trop forte et toutes nos manifestations sont interdites», explique à l'AFP l'ancien chef de l'Oeuvre française, Yvan Benedetti.
Au final, chaque camp peine à élargir son cercle militant. «L'individualisme est partout aujourd'hui, c’est dur de s'organiser politiquement», admet un cadre d'extrême gauche.
Pour Sylvain Boulouque, «bien malin qui peut prévoir quel sera le réceptacle des colères face aux inégalités et au chômage à l'avenir. Pour l'instant, il semble surtout y avoir une apathie générale».