Plus de 40 chercheurs ont signé la «Déclaration de New York sur la conscience animale» qui établit un consensus selon lequel de nombreux animaux sont des êtres sensibles, dotés d’une conscience et capables de ressentir des émotions. Parmi eux, des insectes, des poissons ou encore des mollusques.
Présentée à New York ce vendredi 17 mai, la «Déclaration sur la conscience animale» marque un moment charnière dans la protection de la biodiversité. Pour la première fois, d’éminents scientifiques spécialisés dans le domaine ont inscrit officiellement dans un texte le consensus selon lequel de nombreuses espèces sont dotées d’une conscience. Cette déclaration pourrait permettre de changer la législation sur le bien-être animal dans le monde, rapporte la BBC.
Dans le détail, la déclaration indique qu'il existe un «soutien scientifique solide» au fait que les oiseaux et les mammifères ont «une expérience consciente», tandis qu'il existe une «possibilité réaliste» de conscience pour tous les vertébrés, y compris les reptiles, les amphibiens et les poissons. Cette possibilité s'étend à de nombreux animaux dépourvus de colonne vertébrale, comme les insectes, les crustacés décapodes (y compris les crabes et les homards) et les mollusques céphalopodes, tels que les calamars, les pieuvres et les seiches.
«Lorsqu'il existe une possibilité réaliste d'expérience consciente chez un animal, il est irresponsable d'ignorer cette possibilité dans les décisions qui concernent cet animal», indique la déclaration. «Nous devrions prendre en compte les risques pour le bien-être et utiliser les preuves pour éclairer nos réponses à ces risques», peut-on également lire.
des tests cognitifs avancés
S'il n'existe pas encore de définition précise de la sensibilité ou de la conscience animale, ces termes désignent généralement une capacité à vivre des expériences subjectives : percevoir et cartographier le monde extérieur, ou encore éprouver des sentiments tels que la joie ou la douleur. Dans certains cas, cela peut signifier que les animaux possèdent un certain niveau de conscience de soi.
Pour prouver leurs allégations, les scientifiques s'appuient sur une série de découvertes récentes. Ils ont notamment mis au point de nouveaux tests cognitifs et ont experimenté des tests préexistants sur un plus grand nombre d'espèces, avec quelques surprises. C’est le cas du test du miroir, que les scientifiques utilisent pour vérifier si un animal se reconnaît. Il a notamment été utilisé avec des poissons Napoléon.
Les poissons ont été placés dans un aquarium avec un miroir couvert, auquel ils n'ont pas réagi de manière inhabituelle. Mais une fois le couvercle enlevé, sept des dix poissons ont attaqué le miroir, ce qui indique qu'ils ont probablement interprété l'image comme celle d'un poisson rival, dans un premier temps.
Après plusieurs jours, les poissons se sont calmés et certains ont adopté des comportements étranges devant le miroir, comme nager la tête en bas, ce qui n'avait jamais été observé chez cette espèce auparavant. Plus tard, certains ont semblé passer un temps inhabituel devant le miroir, à examiner leur corps. Les chercheurs ont ensuite marqué les poissons d'une tache brune sous la peau, afin de simuler la présence d'un parasite. Certains poissons ont essayé d'effacer la marque.
Dans d'autres études, les chercheurs ont constaté que les poissons zèbre montraient des signes de curiosité lorsque de nouveaux objets étaient introduits dans leur bassin, et que la seiche pouvait se souvenir de choses qu'elle avait vues ou senties. Une expérience a par ailleurs été effectuée sur des écrevisses en leur infligeant d'abord des chocs électriques puis en leur administrant des médicaments contre l’anxiété utilisés chez l'homme. Les médicaments ont semblé rétablir leur comportement habituel.
Un cadre de recherche en expansion
Selon Jonathan Birch, professeur de philosophie à la London School of Economics, chercheur principal du projet «Foundations of Animal Sentience», et signataire de la déclaration, ces expériences s'inscrivent dans le cadre d'une expansion de la recherche sur la conscience animale au cours des 10 à 15 dernières années.
«Nous disposons désormais d'un cadre beaucoup plus large pour étudier la conscience chez un très grand nombre d'animaux, et pas seulement chez les mammifères et les oiseaux, mais aussi chez les invertébrés comme les pieuvres et les seiches», a-t-il déclaré. «Et même de plus en plus, les chercheurs parlent de conscience chez les insectes».
Comme de plus en plus d'espèces présentent ce type de signes, les chercheurs pourraient bientôt être amenés à recadrer leur champ d'investigation : «Les scientifiques sont contraints de se pencher sur cette question plus large : non pas quels animaux sont sensibles, mais quels animaux ne le sont pas ?», a-t-il également précisé.
Vers une nouvelle législation ?
L'évolution de la compréhension de la conscience animale par les scientifiques pourrait avoir des répercussions sur la législation américaine, qui ne classe pas les animaux comme des êtres sensibles. Au lieu de cela, les lois relatives aux animaux se concentrent principalement sur la conservation, l'agriculture ou leur traitement par les zoos, les laboratoires de recherche et les marchands d'animaux de compagnie.
«La loi est un véhicule qui évolue très lentement et qui suit vraiment les opinions de la société sur un grand nombre de ces questions», a déclaré le scientifique, cité par la BBC. «Cette déclaration, ainsi que d'autres moyens de faire comprendre au public que les animaux ne sont pas de simples automates biologiques, peuvent créer une vague de soutien en faveur de l'augmentation de leur protection», a-t-il ajouté.
Il y a dix ans, l'Oregon (États-Unis) a adopté une loi reconnaissant les animaux comme sensibles et capables de ressentir la douleur, le stress et la peur, ce qui, selon le chercheur, a constitué le fondement des opinions judiciaires progressistes dans cet État. Par ailleurs, Washington et la Californie font partie des États où les législateurs ont envisagé cette année d'interdire l'élevage de pieuvres, une espèce pour laquelle les scientifiques ont trouvé des preuves solides de sensibilité.