A la veille de la COP27, de nombreux scientifiques se sont réunis en Allemagne afin de mener des actions de désobéissance civile pour alerter sur le réchauffement climatique et réclamer des mesures fortes. Parmi eux, Jérôme Guilet, astrophysicien à Saclay. Incarcéré quatre jours après une action au showroom de BMW à Munich, il revient pour CNEWS sur les raisons de son activisme au sein du collectif «Scientist Rebellion».
Pour avoir voulu alerter l’opinion publique sur l’urgence du changement climatique en s’engluant les mains à une voiture du concessionnaire BMW à Munich (Allemagne), le 29 octobre dernier, seize scientifiques, dont quatre Français, ont fini derrière les barreaux. Incarcéré pendant quatre jours, Jérôme Guilet, 38 ans, astrophycisien à Saclay et membre du mouvement «Scientist Rebellion», nous explique pourquoi il est sorti de son laboratoire pour mener des actions de désobéissance civile.
Comment est né votre engagement écologique ? Est-ce que ce sont vos recherches qui vous ont poussé à vous engager ?
J. G. : Astrophysicien de profession, j'étudie la mort des étoiles. Donc, je ne dirais pas que ce sont mes recherches qui m'ont permis de prendre conscience des effets du réchauffement climatique, mais les outils et la méthode scientifique, que j'ai acquis au cours de ces quinze dernières années, m'ont aidé à comprendre plus facilement les résultats de mes collègues climatologues et d'aller lire directement leurs rapports.
Il y a quatre ans, j'ai eu une prise de conscience écologique plus aiguë qui m'a poussé à réellement lire les rapports du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndlr) ou à étudier les chiffres des émissions carbone. Et c'est à ce moment-là que j'ai compris l'urgence de la situation et de la difficulté des changements qu'il va falloir faire pour lutter contre le changement climatique.
C'est de mon devoir de chercheur que de prendre position
Jérôme Guilet, astrophysien et membre du collectif «Scientist Rebellion»
C'est cette prise de conscience qui m'a alors amené à aller au-delà de mes actions individuelles et à me lancer dans des actions collectives grâce aux mouvements «Scientist Rebellion» et «Labo1point5».
Pourquoi avez-vous décidé de sortir de votre laboratoire de recherche pour engager des actions non-violentes ? Quel a été votre déclic ?
J. G. : Mon engagement, en tant que chercheur, est né à la suite de la parution en février 2020 d' une tribune dans Le Monde et signée par plus de 1.000 scientifiques, appelant à la rébellion pour lutter contre le changement climatique. Et j'affirme aujourd'hui que c'est de ma responsabilité et de mon devoir de chercheur que de prendre position et de participer au débat public, surtout lorsque l'on fait face à une crise existentielle pour l'humanité. Et vu la gravité et l'urgence de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, c'est important que des scientifiques mènent des actions de désobéissance civile, car le temps n'est plus aux discours gentils et calmes.
Ainsi en prenant un risque juridique personnel, cela montre à l'opinion publique que nous avons conscience de l'urgence et que l'on agit en conséquence.
Action menée par le collectif «Scientist Rebellion» au museum d’histoire naturelle dans la Galerie de Paléontologie et d'Anatomie comparée, le 9 avril 2022 / Crédit : Willène Pilate.
Que s'est-il passé concrètement lors de cette semaine de mobilisation du mouvement «Scientist Rebellion» en Allemagne ?
J. G. : Les actions, que nous avons menées à Munich, ont été faites dans le cadre d'une campagne organisée par le collectif «Scientist Rebellion», avec l'appui de deux autres associations allemandes de lutte pour le climat. L'objectif était d'avoir un regroupement international de scientifiques dans un pays. Et en Europe, l'Allemagne est clairement le pays politiquement dominant et qui a le plus d'influence. C'était donc une cible évidente.
Lors de cette semaine de mobilisation, nous avions défini trois axes d'action. Le premier a été de demander un discours de vérité sur la situation et d'arrêter de faire croire qu'il va être possible de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, objectif fixé par l' Accord de Paris. La deuxième demande devait concerner les transports, et notamment leur décarbonation, car c'est un des secteurs les plus émetteurs de CO2, mais également l'un des plus puissants en Allemagne. Enfin, notre dernière demande est de l'ordre de la justice climatique. Nous demandions en effet d'annuler la dette des pays pauvres afin de les aider à s'adapter au réchauffement climatique.
J'ai donc participé à trois actions, la première dans les locaux de BlackRock, car ce fonds d'investissement détient un grand nombre de dettes de pays du Sud mais investit également énormément dans les énergies fossiles, responsables du réchauffement climatique. On a ainsi voulu dénoncer leur hypocrisie. Puis, nous avons bloqué une route entre deux grandes concessions automobiles à Munich et, pour terminer, nous avons pénétré dans le showroom de BMW, où nous nous sommes englués les mains à un modèle de voiture de luxe, qui émet beaucoup de CO2, et qui du coup symbolise bien ce que nous ne pouvons plus nous permettre et le poids que les riches font peser sur les plus pauvres. C'est cette dernière action qui m'a valu d'être arrêté et incarcéré quatre jours.
Craignez-vous des poursuites judiciaires ?
J. G. : Je n'en ai aucune idée pour le moment. Nous verrons ce qu'il sera décidé ces prochaines semaines ou mois. Il y aura très probablement des amendes et peut-être un procès.
Ces actions sont-elles, selon vous, le dernier moyen de vous faire entendre ?
J. G. : Oui, on a déjà essayé d'autres modes d'action. Cela fait près de cinquante ans que les scientifiques tentent d'alerter sur la situation à travers des rapports ou des discours rationnels. D'ailleurs, même la société y a pris part avec des manifestations pour le climat, sans véritable effet derrière. On a même eu une Convention citoyenne sur le climat, qui, sur le papier, était une très bonne idée, mais dont les recommandations les plus intéressantes n'ont pas été retenues par le gouvernement.
Nous voyons bien qu'aujourd'hui, il y a un blocage du système et qu'il y a un besoin d'exercer un rapport de force. C'est dans ce cadre-là que les actions de désobéissance civile deviennent nécessaires puisque nous avons épuisé tous les autres moyens.
Jusqu'où êtes-vous prêt à aller ?
J. G. : La seule limite que je me fixe lorsque je choisis les actions auxquelles je vais participer, c'est d'éviter à tout prix la violence, aussi bien physique que psychologique. Nos actions sont et resteront non-violentes. Et j'y tiens.
Comprenez-vous les critiques qui vous sont faites lorsque vous menez une action ?
J. G. : Oui et non. Je peux comprendre que les personnes bloquées sur le périphérique soient en colère puisqu'elles ont perdu du temps, mais tous ces désagréments ne sont rien comparés à ceux subis par les activistes eux-mêmes. Pour ma part, je viens de sortir de quatre jours de prison.
Les vrais terroristes sont ceux qui utilisent leur influence pour décrédibiliser la lutte contre le réchauffement climatiqueJérôme Guilet
Et au-delà de ça, tous ces désagréments sont dérisoires par rapport à la catastrophe climatique qui s'annonce. Ces actions sont, pour moi, largement justifiées, surtout si elles permettent de faire bouger les lignes.
Il y a une semaine à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, des heurts ont éclaté entre les forces de l'ordre et des manifestants venus participer à un rassemblement anti-«méga-bassines». Gérald Darmanin a parlé d'«écoterrorisme» de la part des militants écologistes. Que pensez-vous de l'usage de ce terme ?
J. G. : Le terme est inapproprié, et c'est évident que ce qu'il s'est passé là-bas n'a rien avoir avec du terrorisme. Ces actions dérangent, car elles pointent l'inaction de nos dirigeants, donc ce n'est pas étonnant de voir de telles réactions. Mais cela signifie surtout que l'on s'attaque à un point sensible, donc c'est plutôt bon signe. Et les vrais terroristes sont ceux qui utilisent toute leur influence pour décrédibiliser le mouvement écologiste et empêcher la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce dimanche 6 novembre a eu lieu à Charm el-Cheikh l'ouverture de la COP27. Qu'en attendez-vous ?
J. G. : Les COP sont indispensables car il faut une coopération à l'échelle internationale. Les pays doivent continuer à discuter et à se mettre d'accord sur les moyens d'actions pour lutter contre le changement climatique.
Par contre, je n'ai malheureusement pas beaucoup d'espoir car nous avons été ces dernières années très souvent déçus. Il y a eu des avancées, la COP21 a été importante de ce point de vue, mais les actions derrière peinent toujours à se mettre en place. Donc ce que j'attends aujourd'hui c'est de voir des accords un peu plus pratiques et contraignants pour les Etats.
Enfin, si vous deviez adresser aujourd'hui un message aux politiques, aux industriels et à l'opinion publique, quel serait-il ?
J. G. : Le message principal que je souhaiterais adresser est que l'on arrête de mentir pour enfin prendre au sérieux la gravité de la catastrophe climatique qui est en train de se préparer, et que l'on mette en œuvre un changement profond, surtout si l'on tient à un avenir vivable. Mais ce n'est pas aux scientifiques de dire quel est le changement à faire, celui-ci doit être débattu démocratiquement.