Ses petits yeux perçants et son talent ont marqué la scène comme le cinéma Français. Le comédien Michel Bouquet est décédé à l’âge de 96 ans, a-t-on appris ce mercredi 13 avril. Véritable monstre sacré des planches, l’artiste multi-récompensé, salué par un Molière d’Honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2014 et deux César, dans les années 2000, avait fait ses premiers pas sur scène en 1944.
Un métier de comédien que Michel Bouquet, né le 6 novembre 1925, a vécu comme une vocation, servant au fil de sa longue carrière les textes des plus grands auteurs. Un homme passionné, exigeant, humble qui se voyait tel un passeur, comme il l'expliquait à CNews en 2010, alors qu'il reprenait pour la troisième fois le rôle de Bérenger Ier dans « Le roi se meurt », de Ionesco. « Ce qui compte c’est que l’acteur est le passeur entre l’auteur et le public. Il faut que le public sorte du théâtre en sachant que l’auteur lui a parlé. Qu’il n’a pas seulement vu des gens se remuer sur scène ». Servir le théâtre, servir les auteurs, une philosophie que Michel Bouquet a fait sienne tout au long de sa prolifique carrière.
Enfant timide marqué par ses années difficiles en pension, c’est en 1943 que Michel Bouquet, âgé de 18 ans, prend un virage qui sera déterminant. Après avoir été apprenti boulanger, manutentionnaire, mécanicien-dentiste afin de soutenir financièrement sa famille, et alors que son père est fait prisonnier de guerre, il rencontre le sociétaire de la Comédie Français Maurice Escande. Ce dernier le convie à ses cours et va changer sa vie. Sa destinée sera désormais sur les planches.
Formé au conservatoire supérieur d’art dramatique où il a enseigné par la suite, il décroche son premier rôle et joue dans « Tartuffe » de Molière dès 1944. Trois ans plus tard, en 1947, alors qu’il fait ses débuts au cinéma dans « Monsieur Vincent » de Maurice Coche, il participe aux côtés de Jean Vilar et le TNP au premier festival d’Avignon, où il jouera à plusieurs reprises les grands classiques. Dès lors, le metteur en scène Jean Vilar, les auteurs Jean Anouilh avec qui il collabore régulièrement, Albert Camus, dont il a joué les premières représentations des « Justes » en 1949, mais aussi le théâtre d'Eugène Ionesco, de Samuel Beckett et d'Harold Pinter comme celui de Molière, à qui il voue une véritable passion - et à qui il a consacré un ouvrage en 2017 « Michel Bouquet raconte Molière » - marqueront son parcours d’interprète.
UN talent multi-récompensé
Salué par trois Prix du syndicat de la critique entre 1967 et 1983, Grand prix du théâtre national en 1994, Michel Bouquet décroche son premier Molière du meilleur comédien en 1998 pour sa prestation dans « Les côtelettes » de Bertrand Blier, rôle qu’il reprend cinq ans plus tard à l'écran. En 2005, nouvelle consécration. Michel Bouquet est à nouveau lauréat du Molière du meilleur comédien pour son rôle de Béranger Ier, dans «Le roi se meurt», pièce qu'il réinterprète tous les ans entre 2004 et 2006, puis 2010 et 2014, comme un besoin de faire toujours mieux, de perfectionner son art. «J’aime le théâtre de Ionesco. Je l’ai beaucoup travaillé à différente période de ma vie au même titre que Pinter, Thomas Bernard, Beckett, Molière», confiait-il en 2010. «J’éprouve toujours un très grand plaisir à les relire et m’étonne, chaque fois, de la perfection du travail qu’ils ont fait».
Car Michel Bouquet aime retrouver les pièces et les auteurs qu’il affectionne, tout particulièrement ces deux dernières décennies. «Le roi se meurt» jouée pour la première fois en 1994, mais aussi «Le malade imaginaire» et «L’Avare» de Molière, ou encore «A tort et à raison» de Ronald Harwood. Une pièce qui lui a valu deux nominations aux Molières. La première en 1999 - à l’époque Michel Bouquet donne la réplique à Claude Brasseur, qui lui aussi est nommé pour sa prestation - la seconde en 2016, alors que le comédien reprend son rôle au côté de Francis Lombrail.
Une vie tout entière consacrée à l'amour du théâtre qui, en 2017, à 91 ans lui faisait encore répondre à l’appel de la scène. Soixante-treize ans après avoir fait ses débuts dans «Le Tartuffe», Michel Bouquet retrouve cette pièce dans le rôle d’Orgon sur une mise en scène de Michel Fau, qui 20 ans plus tôt fut son élève au conservatoire et avec qui il partage l’affiche. Comme si la boucle était bouclée, ce fut sa dernière apparition scénique, qu’il abordait à l’époque comme un défi, expliquant : «C’est difficile, c’est angoissant, mais c’est ma vocation. Je dois y être fidèle le plus longtemps possible». Des planches qu'il a foulé durant 73 ans avec une passion intacte et qu’il partageait régulièrement avec sa seconde épouse, la brillante comédienne Juliette Carré.
Une carrière cinématographique courronée par deux césars
Homme de théâtre avant tout, affirmant volontiers préférer la scène au cinéma, Michel Bouquet n'en a pas moins marqué le 7e art. A l'affiche de plus de 70 films, le comédien a tourné sous la houlette des plus grands réalisateurs, de Jean Grémillon à François Truffaut en passant par Claude Chabrol, Michel Audiard, Henri Verneuil.
A partir de 1965, il multiplie les collaborations avec Claude Chabrol, avec qui il tourne cinq longs métrages en à peine six ans («Le tigre se parfume», «La route de Corinthe», «La femme infidèle», «La rupture» et «Juste avant la nuit») campant parfaitement les bourgeois austères. Quand il ne joue pas avec Claude Chabrol, François Truffaut le demande et Michel Bouquet est à l'affiche de «La mariée était en noir» (1967) au côté de Jeanne Moreau et «La sirène du Mississipi» (1968) avec Catherine Deneuve et Jean Paul Belmondo. En 1976, il participe au premier film de Francis Veber, «Le jouet».
Son regard perçant, son timbre grave, lui vaut régulièrement de jouer les méchants. En 1982, il est ainsi Javert traquant Jean Valjean campé par Lino Ventura dans l'adaptation des «Misérables» de Robert Hossein. Les années 2000 sonnent l'heure des récompenses et Michel Bouquet se voit remettre deux César du meilleur acteur. Le premier en 2002 pour son rôle de père cruel face à Charles Berling dans «Comment j'ai tué mon père» d'Anne Fontaine et le second, en 2006, pour sa prestation inoubliable dans la peau de François Mitterrand dans «Le promeneur du champs de mars» de Robert Guédiguian. Nommé aux Césars en 2015 pour son interprétation du peintre Renoir, il tournait encore en 2020 et était à l’affiche de «Villa Caprice» de Bernard Stora, aux côtés Niels Arestrup et Patrick Bruel.