Alors que l'Assemblée nationale examinait jeudi dernier une proposition de loi «pour une fin libre et choisie» visant à légaliser l'euthanasie active, le dessinateur Livio Bernardo et le scénariste Olivier Peyon ont publié, aux éditions Delcourt, un roman graphique poignant et éclairant sur l'accompagnement au suicide assisté, et le droit d'y avoir recours «en toute conscience».
Ce très bel ouvrage de plus de 200 pages offre une sobre mise en lumière sur le travail militant de l'association «Ultime liberté». Silencieuse durant de très longues années, elle a récemment été pointée du doigt après la mise en examen en mars dernier de 12 de ses membres pour possession de pentobarbital. Un très puissant anesthésiant aujourd'hui interdit en France mais employé pour l'aide au suicide.
Bien que romancé, ce récit écrit sans sensationnalisme ni voyeurisme, est né d'une discussion entre deux amis sur l'engagement du père de Livio Bernardo au sein de ce groupe. «C'était hallucinant ce qu'il me racontait, l'histoire de sa prochaine BD était là», se souvient le réalisateur Olivier Peyon, qui lui a alors proposé d'écrire le scénario.
UN RÉCIT SUR L'ENGAGEMENT
Tournée volontairement vers le militantisme des membres de l'association, «En tout conscience» n'est absolument pas lugubre, triste et encore moins pesant malgré le thème sous-jacent : le droit au suicide assisté. Ce livre est au contraire une ôde au combat et à l'engagement, que traduit avec force le dessin de Livio. S'appuyant sur un champ chromatique très restreint, caractéristique de son oeuvre, le dessinateur donne du volume et du caractère à ces personnages qui agissent dans l'ombre pour le droit à mourir dans la dignité.
Et pour que cela ne reste pas qu'un «roman», Olivier Peyon a eu l'idée de s'immerger au sein de l'association et de partir à la rencontrer de ses membres et adhérents, offrant ainsi à ce récit une sincérité touchante.
© Olivier Peyon - Livio Bernardo / Éditions Delcourt
«Dans cette association, ce sont tous des militants. Ils ont la foi en leur combat. C'est cet angle inédit - et parfois drôle - que je devais retranscrire», explique Olivier Peyon. Le récit s'est ainsi construit sur des épisodes vécus, semblables et documentés, et sur lesquelles le scénariste a décidé de prendre quelques libertés narratives. Notamment l'anecdote - à la base «véridique»- de Vincent, 25 ans, venu demander de l'aide à l'association pour mettre fin à ses jours après un chagrin d'amour. Une sollicitation qui a pris au dépourvu toute l'équipe toulousaine d'Ultime liberté.
Sans détour, Livio Bernardo et Olivier Peyon racontent l'engagement des militants de l'association dans l'accompagnement des personnes en fin de vie, désireuses de s'en aller. Car «le but de ce livre n'était pas de parler de leur conviction mais de mettre en avant leur combat, leur investissement, car ils sont prêts à tout quitte à risquer des poursuites au pénal», insistent les deux amis. «C'est là, la force et la beauté de ce livre».
«Notre roman n'est pas un documentaire sur Ultime Liberté, mais bien une oeuvre de fiction inspirée de faits réels. L'écriture n'a pas pu néanmoins faire l'impasse sur les démêlés judiciaires de l'association qui ont fait couler beaucoup d'encre», raconte le dessinateur, dont le père a été mis en examen pour détention de barbiturique. «C'est à sa demande que nous avons alors fait le choix de parler ouvertement de l'association et de la remercier explicitement à la fin de notre roman».
UN REGARD SUR LA CONTROVERSÉE ASSOCIATION «ULTIME LIBERTÉ»
Fondée en 2009, ses 3.000 adhérents français militent aujourd'hui pour la légalisation de l'euthanasie volontaire. Car l'assistance au suicide est illégale en France, tout comme se procurer aujourd'hui du pentobarbital.
«Jamais, ils pousseront une personne à mourir, au contraire ils respectent énormément la vie», insiste Olivier Peyon, qui les a suivis dans leurs démarches pendant plusieurs mois. D'ailleurs, «parmi les personnes qui viennent se procurer cet anesthésiant auprès de l'association, un grand nombre ne l'utilisera jamais. Mais rien que le fait de savoir qu'on est en sa possession, c'est une manière pour eux de reprendre le contrôle sur leur vie».
Et les membres de l'association sont avant tout là pour s'assurer que le dernier souhait de leurs adhérents, celui d'interrompre volontairement leur vie, est réfléchi et fait 'en toute conscience'. Car après l'absorption de cet anesthésiant, le pentobarbital, il y a pas «de retour en arrière», ne cesse de mettre en garde le personnage principal du roman, Philippe.
© Olivier Peyon - Livio Bernardo / Éditions Delcourt
Une adaption prochaine au cinéma
Ce roman graphique a tout pour faire un très bon film. Et Olivier Peyon en a eu conscience très vite. «Bien que le point de départ de ce projet était de travailler avec Livio sur l'histoire de son père, plus je travaillais sur le scénario plus j'ai eu envie d'en faire un film», explique-t-il car il n'en est pas à son premier long-métrage. D'ailleurs, son nouveau film «Tokyo Shaking», avec Karin Viard, aurait dû sortir au cinéma le 10 mars dernier.
Un voeu exaucé puisque les droits de la BD ont d'ores et déjà été vendus à la société de production Les films du Lendemain et le tournage programmé en 2022.
© Olivier Peyon - Livio Bernardo / Éditions Delcourt