Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
MERCREDI 20 FÉVRIER
Lendemain du rassemblement contre l’antisémitisme, place de la République, à Paris. Quelques réflexions : Nicolas Sarkozy demande de la «fermeté». Elle arrive. Il suffit de constater la montée de La République en marche d’Emmanuel Macron dans les sondages en vue des élections européennes pour comprendre que l’opinion publique lui accorde toujours sa confiance.
Les politiques parlent des «juifs de France». Ils se trompent. Il n’y a pas de «juifs de France», il y a des «Français juifs». Ce n’est pas du tout la même chose. Nous ne sommes pas dans les années 1930. A l’époque, il n’y avait pas cette conjonction de toutes les institutions : la France religieuse, associative ou syndicale, qui font corps. Ne versons donc pas trop vite dans les références au passé. Observons d’abord le présent comme une époque troublée et désordonnée qui, fatalement, a besoin de plus d’ordre et va l’exprimer.
Disparition de Karl Lagerfeld. La presse, unanime, lui réserve la place qu’il a su se fabriquer, celle d’un génie de l’autopromotion, ingénieur de son image, créateur de sa propre marque. C’était un esprit d’une brillance rare. Je ne l’ai jamais surpris en flagrant délit de banalités. Dans chacun de ses entretiens, éclataient l’intelligence, l’humour, l’immense culture.
Un personnage de roman, aussi, capable de toucher à tout avec un amour du travail et une obsession de l’excellence. Il est inutile de le comparer à Yves Saint Laurent, dont il fut le rival. Saint Laurent était un pur artiste fragile – Karl, un universaliste puissant et libre. Je m’incline devant l’homme. Au moins une fois, dans ma propre vie, il a fait preuve d’une générosité et d’une gentillesse exceptionnelles.
VENDREDI 22 FÉVRIER
Nous voici donc arrivés au jour des César, la 44e édition. Si 200 millions de personnes vont encore, chaque année, dans les salles que l’on dit obscures, c’est que l’offre reste attractive, que le cinéma est une source de détente, de rêve, d’évasion, mais aussi de réflexion. Il y a dans les films sélectionnés, ou plutôt «nominés», de quoi largement résumer l’air de notre temps. Les violences conjugales, les douleurs familiales, la faculté de se sortir de sa propre condition grâce à la solidarité, la fragilité et la vulnérabilité de l’enfance, l’élan vital qui nous entraîne… Ce sont ces composantes que l’on retrouve dans Le grand bain de Gilles Lellouche, La douleur d’Emmanuel Finkiel, Jusqu’à la garde de Xavier Legrand ou Guy d’Alex Lutz.
Avec plaisir, et au risque de me tromper, je vous confie mon vote. Meilleur film : Jusqu’à la garde. Meilleur premier film : même choix. Meilleur acteur : Alex Lutz dans Guy. Meilleure actrice : Mélanie Thierry dans La douleur. Meilleure actrice dans un second rôle : Virginie Efira dans Le grand bain. Meilleur acteur dans un second rôle : Philippe Katerine dans Le grand bain. Meilleur film étranger : Cold War de Pawel Pawlikowski.
Si vous avez, comme moi, un goût prononcé pour les grands acteurs disparus du cinéma américain, ruez-vous dans la trentaine de salles où sera projeté, à partir de mercredi prochain, Nice Girls Don’t Stay for Breakfast – un documentaire signé Bruce Weber et consacré à cette légende que fut Robert Mitchum.
Avec sa dégaine de voyou, sa nonchalance frisant l’insolence, sa formidable diction, son indépendance d’esprit et de comportement – il fit de la prison, il fugua dès l’âge de 14 ans, il fut arrêté pour vagabondage, il écrivit des chansons et les interpréta avec une facilité déconcertante –, avec cette allure aujourd’hui disparue du «vrai mec», sa façon de ne rien prendre au sérieux, Mitchum, qui tourna plus de 130 films et tint toutes les femmes d’Hollywood dans ses bras – de Marilyn Monroe à Jane Russell –, justifie le terme galvaudé de «légende». Allez voir ce film. Il est sensationnel.