Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
DIMANCHE 3 FÉVRIER
Retour à l’Olympia, boulevard des Capucines, à Paris. C’est une salle de spectacle mythique. J’y ai vu et entendu tant et tant de chanteuses et chanteurs, d’Edith Piaf à Jacques Brel, de Georges Brassens à Johnny Hallyday, de Leonard Cohen à Françoise Hardy, et de groupes britanniques ou américains qui deviendraient des légendes. L’Olympia est une sorte de musée, le rendez-vous de nos mémoires, et c’est toujours la salle que choisissent les grands survivants des années 1960.
C’est le cas de Joan Baez, que je suis venu écouter ce soir. La salle est pleine à craquer, les célèbres fauteuils rouges sont occupés par des femmes et des hommes qui n’ont plus 20 ans, certes, mais dont on sent, dès l’apparition sur scène de la chanteuse, qu’ils sont aussi enthousiastes, heureux, admiratifs, que du temps où ils découvraient la beauté et la pureté de sa voix. Ils lui réserveront une ovation à son arrivée, une autre à son départ, et ils ne voudront pas quitter la salle sans réclamer des rappels qu’elle leur donnera avec une générosité et une énergie confondantes.
A 78 ans, toute droite dans son costume noir, le cheveu gris argent coupé court, élégante, concentrée, souriante, affable, s’exprimant en français autant qu’en anglais, n’observant aucune pause (il n’y a pas d’entracte), Joan Baez propose un bel hommage aux titres de Bob Dylan (cinq chansons sur les vingt-deux qu’elle interprète), Tom Waits, Pete Seeger, Kris Kristofferson, Simon and Garfunkel, John Lennon… Son récital est structuré, organisé comme un véritable programme éditorial, puisque chacune des chansons choisies porte un message humanitaire. Accompagnée par trois musiciens doués qui soutiennent son propre travail à la guitare, en ayant parfois recours au banjo, au piano, au violon, elle surprend en interprétant Chanson pour l’Auvergnat de Brassens, de façon gracieuse et délicate.
Les tubes défilent, on n’a aucune envie que cela s’arrête, la salle est debout. Joan Baez part, puis revient pour deux séries de rappels, avec Le temps des cerises et le fameux Here’s to You d’Ennio Morricone. Il paraît que c’est une «tournée d’adieux», mais j’ai la sensation qu’elle reviendra. Dans les coulisses, elle embrasse des amis, serre des mains avec ce sourire qui fit d’elle, au début des sixties une icône immédiate, alors qu’elle chantait au côté d’un jeune génie qui s’appelait Dylan. «Bien vieillir» est une formule idiote – on ne peut pas l’appliquer à Baez.
Disons qu’avec l’âge, elle n’a rien perdu, même si, modestie oblige, elle s’excuse : – J’ai un peu plus de mal à monter dans les aigus. Il me faut travailler ma voix plus qu’avant. Elle donnera encore deux concerts, les 12 et 13 février prochain, toujours à l’Olympia, d’où je suis sorti dans un état euphorique, la tête envahie par tous ces airs qui ont bercé mes multiples séjours américains – comme une irrésistible bouffée de jeunesse.
MARDI 5 FÉVRIER
Dix morts à Paris, dans le 16e arrondissement, rue Erlanger, suite à un incendie criminel. De tous les reportages, témoignages, commentaires qui vont occuper les conversations et les esprits, il faut retenir deux évidences : solidarité et courage.
Solidarité des gens qui vont aider, héberger, fournir en vêtements celles et ceux qui ont tout perdu. Il faut aussi admirer le courage et l’opiniâtreté des pompiers qui, à cause de la difficulté d’accès des lieux, ont dû grimper, à mains nues, à l’aide d’échelles dites «à crochets», afin de secourir une cinquantaine de personnes. Le sauvetage a duré plus de cinq heures. Ces hommes que, parfois, dans certains quartiers, des imbéciles ont caillassés et empêché d’accomplir leur mission, appartiennent à cet héroïsme anonyme et quotidien qui unit encore notre pays. On ne leur dira jamais assez «merci».