Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
LUNDI 28 JANVIER
Parution d’une pétition à laquelle je souscris. Il s’agit d’un collectif d’une centaine d’écrivains, journalistes, artistes (cela va du philosophe Michel Serres à la romancière Leïla Slimani), qui disent tous :
– Non, l’anglais ne doit pas remplacer le français !
En parcourant le programme du prochain Salon du Livre, à Paris, du 15 au 18 mars, les signataires ont en effet découvert que la littérature «Young Adult» serait à l’honneur et qu’il y aurait du «live» (performances et lectures musicales), une «Bookroom» (un espace de rencontres), un «Brainsto» (discussion entre créateurs) et un «Photobooth» (pour les réseaux sociaux). C’est à pleurer : dans un salon consacré à la littérature et à la langue française, on impose ce qui s’appelle le «globish», cette sorte de sous-anglais qui a envahi notre quotidien.
Selon les signataires, le «globish» est une insulte à Voltaire et à Victor Hugo. Ils ont raison : la modernité est une chose, et certains sigles ou expressions sont, effectivement, passés dans le langage courant – après tout, le journal que vous êtes en train de lire s’appelle CNEWS et pas CINFOS ! –, mais la facilité qui consiste à céder à la «fashion», au «look», au «je te maile et tu me WhatsApp», au «on se débriefe au meeting de tomorrow, OK ?» et autres pollutions, ce n’est pas la même chose. Vive la constante évolution de nos mœurs, certes, mais à bas le «globish» !
MARDI 29 JANVIER
Dans nos têtes, à la radio, à la télévision, les musiques de Michel Legrand ne cessent de tourner. Nous avons tous été frappés par la disparition, à 86 ans, de ce talentueux compositeur, ce prodigieux orchestrateur, arrangeur, pianiste, chanteur, qui sut se nourrir du classique (Schubert et Bach) autant que du jazz et du swing, qui domina totalement le monde de la musique de film, et sans qui il n’y aurait jamais eu de Parapluies à Cherbourg, ni de Demoiselles à Rochefort. Il n’y aurait pas eu non plus de Thomas Crown ou de Messager, ni d’Eté 42.
Le monde a salué ce fabuleux chemin artistique qui fit de lui un des rois d’Hollywood et du cinéma mondial (Joseph Losey, Orson Welles, Jacques Deray, Jean-Luc Godard, Jacques Demy) et l’un des princes du rythme et du jazz. Ma première rencontre avec lui date de 1960, lorsque je fus subjugué par son illustration sonore d’un documentaire révélateur et précurseur de François Reichenbach, L’Amérique insolite.
Il y avait déjà tout de Legrand dans cette BO : la mélodie, les percussions, la douceur, les ellipses, les surprises. Depuis, je n’ai cessé de le croiser, parfois de l’interroger. Il était très volubile, éloquent, riche de formules : «Je suis partout chez moi si j’ai du papier pour écrire et un piano pour jouer.» Un jour, dans un avion qui me mène à New York, je me lève pour marcher dans l’allée, afin de me dégourdir les jambes, et je tombe sur lui, assis avec un miniclavier sur les genoux, en train de composer :
– Que fais-tu là ?
– Ben, tu vois bien, je travaille !
Original, inimitable, prolifique, capable de tout, voix singulière lorsqu’il chantait, sourire d’enfant lorsqu’il jouait, inspiré lorsqu’il disait : «Ça vient du ciel.» Ce vendredi, en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky (messe d’enterrement), puis au Théâtre Marigny (hommage public), et enfin au Père-Lachaise (inhumation), Michel Legrand sera toujours là, et toujours aussi grand.
MERCREDI 30 JANVIER
Jour de sortie des nouveaux films. Beaucoup de bruit autour du deuxième volet de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?. J’ai procédé à un petit bilan : le premier épisode attira 12 366 461 de spectateurs en France en 2014, puis, un an plus tard, diffusé sur TF1, 10 600 000 de téléspectateurs. Ce fut également 956 000 DVD vendus, mais aussi 9 848 058 de spectateurs à l’étranger. Ce film aurait donc été vu par quelque 33 millions de personnes. Qu’en sera-t-il du nouveau chapitre ?