Des sables du désert libyen au tapis rouge de Cannes, Bernard-Henri Levy va honorer vendredi soir, avec la projection de son documentaire sur la guerre qui mit fin au régime Khadafi, son "serment de Tobrouk".
En avril 2011 le philosophe et son compagnon d'aventures, le journaliste Gilles Hertzog, marchent d'un pas lent, avec quatre chefs rebelles, dans le cimetière militaire français de Tobrouk où reposent les corps de 180 soldats de la France Libre.
Sous la croix de Lorraine les six hommes, filmés en plan large, jurent "de ne pas se séparer tant que la Libye ne sera pas engagée sur le chemin de la Démocratie".
Le 2 mars 1941, après avoir pris aux Italiens l'oasis de Koufra, dans le Sud libyen, le colonel Leclerc faisait prêter à ses hommes le "serment de Koufra", jurant "de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg".
Pendant les huit mois qu'a duré le conflit libyen l'écrivain-philosophe a joué, auprès des insurgés libyens, des journalistes et des puissants de ce monde, ce rôle qu'il affectionne et dont un caméraman n'a rien perdu: le témoin engagé.
"J'ai voulu dans ce film documenter la part d'histoire dont j'ai été témoin, et acteur" explique à Paris, la veille de la montée des marches, BHL à l'AFP.
"Ce n'est pas une histoire de la guerre en Libye mais il y a des choses que je suis le seul à avoir vues... car j'étais le seul à être là", sourit-il. "C'est la prodigieuse succession d'événements lancée six mois plus tôt, par un simple coup de téléphone".
"Un coup de tonnerre politique"
Ce coup de fil satellitaire, de l'écrivain à Benghazi au président de la République française Nicolas Sarkozy à Paris, est l'une des scènes fortes du film.
"Je t'appelle pour te proposer de les recevoir. C'est un acte politique majeur, tu le sais mieux que moi. Cela vaudra reconnaissance (...) Si on veut arrêter le massacre, il faut bombarder les aéroports et recevoir une délégation du Conseil national libyen. Ce sera un coup de tonnerre politique".
Pendant ce printemps libyen Bernard-Henri Levy va multiplier les aller-retours entre les zones rebelles, les villes libérées, les lignes de front, les salles d'état-major, les hôpitaux de campagne, les chancelleries occidentales, les plateaux de télévisions, sous l'objectif du photographe et réalisateur Marc Roussel.
Sur des morceaux de papier il griffonne des plans de batailles, des listes d'armes qu'il s'engage à "apporter au président Sarkozy".
"Ce film a deux thèmes" assure BHL: "la fraternité et la mémoire. J'ai aimé, j'aime ces femmes et ces hommes. La mémoire, c'est celle de Sarajevo. Et plus loin, celle de mon père".
"La Libye, c'est la revanche de la Bosnie, c'est pour cela que j'ai inclus quelques scènes de mon film +Bosna !+ Ce pari de l'ingérence, qui a été perdu en Bosnie, a été gagné en Libye. Le retournement qui à Sarajevo a pris quatre ans n'a ici pris que quelques mois."
"Et tout ce temps j'ai chéri la mémoire de mon père, jeune Français Libre, qui m'avait précédé dans les sables libyens. Quelle émotion !"
Au palais des Festivals, le philosophe va dédier ce film "aux Syriens, en lutte pour la liberté. Pour nous, ce qui s'est passé l'an dernier en Libye est déjà de l'histoire. Pour eux, c'est la réalité".
En plus de quatre vétérans de la révolution libyenne, BHL et son équipe seront accompagnés sur le tapis rouge de deux opposants syriens qui ont récemment fui leur pays.
Par crainte de représailles sur leurs familles, c'est le visage drapé dans le drapeau de la "Syrie libre" qu'ils vont monter les marches et incarner leur combat pour les caméras du monde entier.