Fini les traditionnels premiers rendez-vous au cinéma, les «On va boire un verre ?», et les regards échangés avec ce garçon-trop-beau-pourvu-qu’il-soit-célibataire en boîte de nuit. La pandémie a rebattu les cartes : les rencontres se font désormais essentiellement sur Tinder, Fruitz, Weeple et autres applications dédiées.
En particulier chez les jeunes. Sur son profil Tinder, Romain* est tout sourire. Il a posté beaucoup de photos de lui. A la montagne, à la plage, avec sa guitare… Sa description, elle, est bien plus courte. Une seule phrase : «Je m’ennuyais trop pour ne pas installer Tinder.»
Et il n’est pas le seul. Depuis le début de la crise sanitaire, les sites de rencontres accueillent de plus en plus de nouvelles têtes. L’application Fruitz revendique 110 % d’utilisateurs en plus par rapport à 2019. «Nous étions déjà sur une pente ascendante», précise Marion Vrignaud, sa responsable communication. «Mais la pandémie nous a fait nous développer encore plus que prévu.»
un moyen de Tromper l’ennui
La première explication tient à un effet de vases communicants. Puisque les lieux de rencontre traditionnels ont fermé, comme les bars, les boîtes de nuit, ou encore l’université, beaucoup se reportent sur Internet. C’est le cas de Cassandre. A 25 ans, cette étudiante s’est inscrite pour la première fois sur Tinder cet été. «Jamais je ne l’aurais fait hors pandémie, je préfère largement draguer en face à face», affirme-t-elle. «Mais c’est assez drôle. On en discute entre copines, on fait des comptes-rendus… Ça fait passer le temps.» Ce qui, en pandémie, n’est pas superflu.
Les activités ont plutôt tendance à disparaître : pas de cours en présentiel, pas de sorties entre amis, pas de longues pauses déjeuner à la cantine… Et de fait, les sites de rencontres s’imposent, pour certains, comme la seule chose capable de combler l’ennui. «C’est simple : plus tu n’as rien de prévu, plus tu t’ennuies, plus tu y vas», résume Joséphine*, 21 ans. Inscrite sur Tinder depuis 2019, elle est devenue beaucoup plus active en mars dernier. «Je n’avais pas de cours, pas d’emploi du temps, rien à faire. Donc j’allais sur Tinder.»
Besoin de s’amuser
Joséphine est loin d’être un cas particulier. En plus d’enregistrer de nouvelles inscriptions, les sites de rencontre ont connu – et connaissent encore, à la faveur du troisième confinement – un pic d’activité. Sur Tinder, chaque membre a effectué 42 % de matchs (quand deux personnes se sélectionnent mutuellement) et 11 % de swipes (quand l’utilisateur décide s’il sélectionne ou non un profil) supplémentaires depuis le début de la crise sanitaire. «Une effervescence sans précédent», selon Leyla Guilany-Lyard, directrice communication. Le 29 mars 2020, l’application a même franchi les trois milliards de swipes en une journée. Un record qu’elle a depuis battu 130 fois.
Paul* y a sûrement contribué. «J’adore swiper», confie cet habitué de Tinder, âgé de 22 ans. «Ça devient presque addictif. C’est comme un jeu.» Joséphine et Cassandre partagent cet avis. Elles évoquent toutes les deux le côté grisant de Tinder, une sensation devenue rare depuis le début de la crise sanitaire. Les applications de rencontre apportent du divertissement et de la fraîcheur, alors que cinémas, sorties entre amis, théâtre et voyages demeurent impossibles. Avant tout parce que les échanges «peuvent y être très ludiques», explique Christophe Giraud. Ce sociologue des relations amoureuses détaille : «On ne connaît rien de la personne, et on n’est pas vraiment sûr de ses attentes. Il y a de la surprise, de la découverte… Le jeu s’installe dans les conversations, via l’humour, l’ambiguïté. Rencontrer quelqu’un peut être très divertissant.»
Se sentir compris par quelqu'un d'autre
Car même si cette rencontre n’aboutit pas à une relation, elle reste une compagnie. Une façon de tromper la solitude. «Nos utilisateurs ont besoin de contact humain», insiste Marion Vrignaud de Fruitz. «Ce n’est pas juste un passe-temps, c’est aussi un moyen de trouver des gens qui les comprennent, qui vivent la même situation qu’eux.» Par exemple, pour les étudiants, cible principale de Fruitz, les discussions peuvent porter sur les cours en distanciel ou sur la difficulté d’être confiné dans un petit logement.
De manière générale, la pandémie a créé un climat propice à la confession. Les conversations se sont rallongées (elles sont 32 % plus longues par rapport à 2019, selon Tinder) et ont permis aux utilisateurs d’apprendre à se connaître. Presque un paradoxe, pour ces applications plutôt axées sur les rencontres éphémères. «Il y a deux registres de rencontres sur ces sites», résume Christophe Giraud. «D’abord celles que l’on fait pour s’amuser, sans rien promettre à l’autre. C’est souvent ce à quoi on pense quand on évoque Tinder ou Fruitz.» Mais, selon le sociologue, il existe aussi des rencontres où les deux utilisateurs «essaient vraiment de se connaître et de construire quelque chose». Un registre habituellement en minorité, favorisé par la crise sanitaire. Au plus grand bonheur de certains. En deux ans de Tinder, Joséphine n’a rencontré physiquement qu’une seule personne. Grande timide, elle explique avoir besoin de temps, de se sentir en confiance. Le confinement l’a soulagée. «Je me suis dit : "Cool, on va arrêter de vouloir me voir au bout de deux heures, on va enfin pouvoir parler".»
des jeunes En quête du «feeling»
Mais «parler» ne fait pas tout. Maëva, 21 ans, a fait cet hiver la connaissance d’un garçon sur Fruitz. Ils ont échangé quotidiennement pendant plus d’un mois. «Je n’avais jamais envoyé des messages aussi longs», se souvient-elle. «Au final, quand on s’est vus, on n’avait rien à se dire. Aucune étincelle, aucun feeling.» Car si les applications de rencontre sont un jeu, cela implique parfois que l’on perde. Et même souvent. Tinder et Fruitz peuvent être encore plus hasardeux que la bonne vieille bataille de cartes : on matche grâce à une ou deux photos, avec parfois quelques lignes de descriptions. Impossible d’y déceler le «feeling». «Ça, on le sent dans ce que l’autre dégage, dans sa façon de bouger, dans sa voix...», décrit Cassandre. «C’est ce qui manque aux sites de rencontre.»
Résultat : des dizaines de matchs par jour, mais une seule personne avec qui l’utilisateur dépassera trois jours de conversation. «Le maximum, c’est une semaine», regrette Joséphine. «Au début, on débat, on raconte un peu sa vie. Après ça s’épuise, tu te rends compte qu’il n’y a pas de feeling, et tu te retrouves au même point où tu n’as plus personne à qui parler.» En termes de solitude, les applications de rencontre sont donc loin d’être la solution miracle. Elles évitent l’ennui, proposent des compagnies éphémères, et apportent un brin d’excitation. Mais génèrent aussi beaucoup de frustration. «Des déceptions, j’en ai eu très souvent», concède Maëva. «Je ne veux pas me mettre en couple, mais même amicalement, c’est très difficile de construire quelque chose de durable sur ces plate-formes. C’est normal… On n’a pas des coups de cœur tous les jours.»
Dans ce cas, pourquoi continuer ? Cassandre et Paul ont la réponse toute trouvée. Après quelques semaines de recherches, ils ont rencontré leur partenaire actuel sur Tinder. Parce que, comme dans tous les jeux de hasard, on peut parfois toucher le jackpot.
*Les prénoms ont été modifiés.