Liang Xiaomen, Xiao Meili et Zheng Churan font partie des nombreuses féministes chinoises attaquées et réduites au silence par des trolls nationalistes sur les réseaux sociaux.
Le torrent de messages haineux qui remplissait la boîte de réception de Liang Xiaowen s'est arrêté aussi soudainement qu'il avait commencé, rapporte CNN. Durant une semaine, cette féministe chinoise de 29 ans a fait l'objet d'attaques chauvines et misogynes incessantes sur Weibo, l'un des réseaux sociaux les plus populaires de Chine. La jeune femme a notamment été traitée de «traîtresse» et de «chienne xénocentrique». Certains utilisateurs ont expliqué comment trouver l'adresse du domicile de ses parents. Puis, sans aucun avertissement, le compte de Liang a été supprimé par Weibo.
«Au début, je ne pouvais pas le croire», a-t-elle déclaré. «Les calomnies à mon encontre ont continué en ligne, mais je ne peux même plus me défendre».
Cette avocate vivant à New York fait partie de plus de 20 féministes chinoises et groupes de défense des droits des femmes dont la présence a été effacée des médias sociaux au cours des deux dernières semaines.
La disparition de leurs comptes a suivi un schéma similaire : chacune a d'abord été accusée par des blogueurs nationalistes influents d'être une «séparatiste» ou une «traîtresse». Puis, une avalanche de messages et commentaires vicieux s'est abattue sur elles, les trolls signalant leurs comptes aux modérateurs de Weibo pour leur contenu prétendument «illégal» ou «nuisible». En l'espace de quelques jours, elles ont vu leurs comptes fermés - avec tous leurs messages et abonnés effacés.
«(Nous) avons été collectivement réduites au silence par une répression à l'échelle d'Internet qui a frappé comme un tsunami. La sphère publique en ligne que nous avions réussi à construire malgré toutes les difficultés a été étouffée sans relâche», a déclaré Liang Xiaomen.
Liang est devenue féministe dans une université de Guangzhou, une ville du sud de la Chine autrefois connue pour sa société civile dynamique. Elle a continué à s'engager dans le mouvement féministe en ligne de la Chine, après avoir déménagé aux États-Unis en 2016 pour étudier pour un master.
Des trolls passent au crible des années de publications sur des comptes féministes
Ces dernières années, une armée d'influenceurs nationalistes et leurs adeptes sont devenus de puissantes mains des censeurs employés par le gouvernement qui surveillent l'internet chinois, se jetant sur ceux qui s'expriment et les intimidant pour les réduire au silence.
Le mouvement féministe chinois, déjà soumis à une sévère répression sous la présidence de Xi Jinping, est la dernière cible d'une vaste croisade en ligne contre les voix jugées «antipatriotiques», révèle encore CNN. Des trolls passent au crible des années de publications sur des comptes féministes sur les médias sociaux, à la recherche de la moindre suggestion d'une prétendue opinion «anti-chinoise».
Parfois, comme dans le cas de Liang, le simple fait de soutenir les victimes de harcèlement suffit à déclencher un assaut d'attaques personnelles.
Ne pouvant trouver à redire aux messages de Liang sur Weibo, les trolls se sont rués sur son compte Twitter, qui est bloqué en Chine continentale. Ses retweets de messages de dissidents chinois de l'étranger et articles sur la répression des Ouïghours au Xinjiang ont été présentés comme des «preuves» de sa trahison de la Chine. Et une photo d'elle partageant un repas avec une universitaire féministe américaine a été utilisée pour prouver sa «connivence» avec les forces anti-chinoises américaines.
«Je ne veux pas abandonner»
Mais Liang refuse d'être réduite au silence. Elle a déposé cette semaine un procès civil contre Weibo, demandant à récupérer son compte. Une démarque particulièrement rare pour être soulignée.
«Je veux montrer à tout le monde que nous pouvons encore faire des efforts pour essayer de préserver l'espace que nous avons créé ensemble. Je ne veux pas abandonner», a-t-elle déclaré.
Weibo a déclaré, dans un communiqué, que les comptes de Liang et d'autres ont été supprimés après des plaintes d'utilisateurs concernant des messages contenant des «informations illégales et nuisibles». Elle a souligné que les utilisateurs de Weibo ne devaient pas «inciter à l'antagonisme entre les groupes ou promouvoir la culture du boycott» ou «organiser ou inciter d'autres utilisateurs à attaquer les organes de l'État et du Parti ainsi que les entreprises et institutions publiques».
A départ, la militante a été attaquée pour avoir défendu Xiao Meili, une des principales voix du mouvement féministe chinois et la première à avoir été confrontée à la tempête nationaliste, puis Zheng Churan, l'amie féministe de Xiao qui est elle aussi devenue la prochaine cible.
Le blogueur «Ziwuxiashi», un vétéran de l'armée chinoise qui a lancé une série de campagnes de diffamation contre Xiao, Zheng et Liang, compte plus de 700.000 abonnés. Un autre blogueur nationaliste qui a joué un rôle central dans l'attaque, «Aigle de Dieu», peut se vanter d'être suivi par 2 millions de personnes. Nombre de ces comptes importants ont reçu l'aval du gouvernement. «Ziwuxiashi», par exemple, faisait partie des trois blogueurs invités en 2016 par la Ligue de la jeunesse communiste à partager leurs histoires de «promotion de l'énergie positive» sur Internet.
Il pourrait être tentant de considérer tous les nationalistes chinois en ligne comme des trolls soutenus par le Parti communiste chinois (PCC). En réalité, de nombreux internautes chinois sont véritablement patriotes et désireux de défendre leur pays. «De nombreux jeunes Chinois veulent participer à la vie publique et faire entendre leur voix. Et le mouvement patriotique est probablement la seule avenue sûre pour cela», a déclaré Liang.
La militante n'est pas certaine de ses chances de gagner contre Weibo, qui a supprimé son compte. Il faut d'abord que le tribunal accepte son dossier, puis la procédure judiciaire pourrait prendre des mois.
«Je veux tenter ma chance, même s'il n'y a qu'une infime chance», a-t-elle déclaré. «Même si je ne gagne pas, le verdict du tribunal deviendra une trace écrite de l'assaut contre tant de comptes féministes en avril dernier.»