Un avatar ailé et tout vêtu de bleu : c'est via cet émissaire virtuel, rencontré au coeur de «Fortnite», le célèbre jeu en ligne, que plus de 350 enfants ou adolescents, maltraités ou en souffrance, ont pu discrètement se confier à de «vrais» adultes pendant le confinement.
L'association L'Enfant bleu, qui a piloté cette expérience inédite restée jusqu'ici secrète, espère qu'elle pourra servir de tremplin à un dispositif pérenne, afin que les jeux vidéos deviennent un moyen pour les enfants en danger de donner l'alerte.
Pour Laura Morin, la directrice de l'association, l'enjeu est de répondre au «défi numéro un» auquel sont confrontés ceux qui viennent en aide aux mineurs maltraités : «permettre à l'enfant de parler, et aux adultes de repérer qu'il y a un problème».
Or, «les jeunes n'utilisent pas les mêmes médias que nous les adultes. Nous devons nous adapter et trouver de nouvelles manières d'entrer en contact avec eux», poursuit Laure Morin.
Un faux personnage créé spécialement
Pour ce faire, les bénévoles de l'association ont pénétré dans l'univers virtuel de Fortnite sous les traits d'un personnage dénommé «Enfant Bleu», et se sont relayés pour le faire «vivre» pendant un mois, tous les jours jusqu'à 22h30.
Mission de cet avatar : répondre aux jeunes joueurs, connectés en même temps que lui, qui souhaitaient lui parler de leurs problèmes personnels. Au total, en un mois, 1.200 enfants ou adolescents, de 10 à 17 ans, ont pris contact avec le personnage ailé, un chiffre «extraordinaire», selon Laura Morin.
Dans la majorité des cas, les jeunes n'ont cliqué que par curiosité, mais 30 % d’entre eux «se sont confiés sur des problèmes personnels plus ou moins graves», et «certains ont signalé être dans une situation d'extrême urgence», précise l'association, qui a parfois pu les orienter vers d'autres structures spécialisées, comme celles luttant contre le harcèlement scolaire par exemple.
Discrétion vis-à-vis des parents
Pour que l'expérience fonctionne, encore fallait-il que les jeunes joueurs soient informés de la possibilité qui s'offrait à eux... mais sans que leurs parents, potentiellement maltraitants, ne soient eux-mêmes au courant. Les promoteurs du projet n'ont ainsi pas communiqué auprès des médias grand public, mais ont fait appel à des influenceurs connus du monde des «gamers».
«C'est le bon canal, le bon vocabulaire pour qu'on soit clairement compris par les enfants qui en ont besoin, sans éveiller l'attention de ceux qui les maltraitent», résume Fabrice Plazolles, de l'agence de communication Havas Sports & Entertainment, qui a piloté l'opération.
Via un partenariat avec des équipes professionnelles de «e-sport», ou avec des influenceurs comptant des millions d'abonnés, des messages présentant le dispositif et détaillant comment reconnaître l'avatar ont été diffusés sur Snapchat et Instagram, ainsi que sur la plateforme Twitch qui diffuse en direct des parties de jeu vidéo.
Autant de médias où la présence des parents était peu probable : «vu que les enfants étaient confinés et n'avaient pas d'autres moyens de donner l'alerte, ça aurait été dramatique qu'un parent s'aperçoive du dispositif et coupe l'accès à la console», relève Fabrice Plazolles.
«Si tu es victime de n'importe quelle forme de violence, ajoute le compte Epic EnfantBleu sur Fortnite pour discuter discrètement», suggéraient les messages.
Au final, l'opération a permis de confirmer que les jeux vidéo constituent une «piste encourageante» pour faciliter la prise de parole des enfants maltraités, observe Laura Morin. Mais il s'agit maintenant d'aller plus loin, et de réfléchir à la manière d'inscrire cette piste dans la durée, ajoute-t-elle.
police et justice impliquées
Pour ce faire, un groupe de travail a été constitué : autour de l'Enfant bleu, il réunira à partir de septembre des représentants des éditeurs de jeux vidéo, des magistrats et policiers spécialisés, ainsi que le secrétariat d'Etat pour la Protection de l'enfance.
«Ce qu'on espère, c'est offrir un outil de plus dans l'arsenal à disposition des enfants pour appeler à l'aide. En adoptant leur point de vue», insiste la directrice de l'association.