Membre du Comité International Olympique, Nawal El Moutawakel était récemment présente à Paris pour évoquer les Jeux Olympiques 2024, qui auront lieu dans un an tout pile. La Marocaine, médaillée d'or du 400m haies en 1984, s’est confiée à CNEWS.
Qui d’autre qu’une membre du CIO et surtout médaillée olympique pour évoquer les Jeux de Paris 2024 ? Présente il y a quelques jours à Paris, pour recevoir un trophée Laureus, Nawal El Moutawakel a évoqué les Jeux olympiques qui auront lieu dans un an en France. Un événement qui sera historique pour elle.
A un an des Jeux Olympiques, on imagine que vous avez hâte d’y être ?
Nawal El Moutawakel : «De toute évidence, oui. C'est même avec joie que je serai là pendant toute la période des Jeux olympiques. Je sais que depuis un moment, l'équipe travaille d'arrache-pied, de manière très réfléchie avec le Comité international Olympique, les fédérations internationales et toutes les parties prenantes pour faire de ces Jeux, des Jeux mémorables, des Jeux qui seront historiques pour la jeunesse et pour laisser un héritage. Je suis certaine que Paris 2024 sera dans l’histoire des JO.»
Il y a beaucoup de critiques et d’inquiétudes sur le fait de savoir si Paris 2024 se prêt à temps. Quel est votre avis ?
Nawal El Moutawakel : «J’étais particulièrement contente de voir que les choses avancent sûrement avec le soutien du gouvernement. Avec le leadership de Tony Estanguet, je suis sûre que tout sera prêt. La cérémonie d’ouverture va être unique, ce sera historique, tel que voulu par les Français, les Parisiens et tous ceux qui aiment les sports.»
En tant que membre du CIO, vous faites partie de ceux qui ont validé le projet de Paris à l’époque…
Nawal El Moutawakel : «Je suis contente parce que j'ai été à la tête de la commission d'évaluation 2005 pour inspecter différentes villes afin de voir si elles étaient capables d'organiser les Jeux Olympiques de 2024. Il y avait Moscou, il y avait Madrid, il y avait également Chicago. A l’époque, Paris avait fait un excellent travail sous la conduite éclairée de Bertrand Delanoë. Paris n’avait pas été choisi en 2012 (Londres avait été sélectionnée, ndlr), mais ils sont revenus à la charge avec une équipe soudée, solide et performante à la tête de laquelle il y avait Tony Estanguet, lui-même ancien champion olympique. Il nous a présenté une très belle vision de la France mais également de l’Europe. Car c’est aussi le retour des Jeux en Europe après l’Amérique du Sud (Brésil) et l’Asie (Japon).
On démontre que la femme est essentielle dans le sport, contrairement à ce que disait Pierre de Coubertin
Ces Jeux de Paris seront également historiques parce qu’ils seront paritaires. La place de la femme à travers le sport, c’est aussi un élément des plus importants pour vous.
Nawal El Moutawakel : «On démontre que la place de la femme est essentielle, contrairement à ce que disait le baron Pierre de Coubertin. C'est à Paris que ça va se concrétiser et j'en suis vraiment heureuse. Dans les années 80, on voyait peu de femmes qui étaient dans des positions de leaders. On pousse énormément au niveau de pas mal de structures organisationnelles pour la présence de la femme en tant que dirigeante sportive. Je me souviens de mon instance, la fédération internationale d’athlétisme, qui est née en 1912 et jusqu'en 1995, c'était une organisation qui était gérée par un homme. Il n'y avait pas de femmes. La décision a été prise d'ouvrir la porte légèrement à une ou 2 femmes pour siéger dans l'exécutif. Pendant de longues années, les femmes n’étaient pas non plus présentes dans le sport. En athlétisme, dans mon épreuve (le 400m haies), c’était une épreuve qui était pour les hommes. On entendait tout et n’importe quoi à l’époque. On disait qu’elles ne pouvaient pas sauter, ni lancer parce qu’elles pourraient ne plus jamais tomber enceinte. Dès qu'on a donné l'opportunité à la femme de concourir aujourd'hui, elle s’est émancipée. Regardez aujourd’hui, elles font du 400m, de la perche, du marteau, du javelot, elles courent le marathon, font de la boxe, du volley. C’est un bonheur de voir ça. Et dans le monde entier. Coubertin disait que les femmes n’étaient pas forcément acceptables dans le sport. Mais ces temps sont révolus. Si les femmes ne se montrent pas, personne ne viendra leur demander.»
Vous êtes un véritable modèle et exemple pour les femmes dans le sport. A quel moment vous êtes-vous rendue compte que vous aviez réalisé quelque chose d’historique en devenant championne olympique à Los Angeles en 1984 ?
Nawal El Moutawakel : «A l’époque, au moment de mon titre, j'étais comme dans un rêve. Je voulais courir par amour pour la course au sport et aussi pour mes parents et mon père qui m’avait toujours poussé et motivé. Je me disais que je ne pourrais jamais gagner parce que je suis petite de taille, je suis Marocaine, je suis musulmane, je suis Africaine… Et puis les Américaines sont plus grandes. Et moi, je suis qui ? Mais lui me disait : ‘ma fille, tu débordes d'ambition et tu verras qu'un jour tu réussiras.’ Et voilà, le grand jour est arrivé le 8 août 1984. Et tout a changé à partir de là. Des milliers de journalistes qui sont venus voir cette petite femme qui a osé bouleverser la hiérarchie mondiale et ils m’ont posé toutes les questions possibles et inimaginables. J’étais tétanisée, paralysée, j'avais peur. Je ne voulais même pas parler ce qu'on m'a préparé à courir, à m'entraîner, mais jamais à m’exprimer face à la presse. J’ai mis du temps à trouver mon rythme face aux médias. Mais c’est devenu fluide, j’ai réussi à comprendre que j’ai réussi quelque chose qui allait au-delà de ma personne. C’était une performance mondiale, historique et sociétale. Comme je le dis tout le temps, ces 54 secondes m’ont fait passer de zéro à héros. Cette course a changé ma vie, je suis devenue une personne modèle pour de nombreuses jeunes filles. Je l’ai compris en rentrant au Maroc et en étant interpellée par de nombreuses femmes. Puis ensuite dans le monde. C’est aussi pour cela qu’ensuite, j’ai décidé d’être diplomate. Je voulais aider, rendre ce que j’ai fait et le partager partout dans le monde. Dans des endroits reculés du Maroc et du monde. Partout, j’ai vu la misère. On essaie de toucher les enfants, de leur dire le mot juste, la bonne parole, le bon geste pour les sortir de leur dépression, de leur misère, de leur propreté, problème de drogue, de leur problème et du fondamentalisme. J’ai été dans les prisons, dans les orphelinats… On essaie d’aller partout. Voilà, tout ce qui a changé avec ce titre olympique de 1984.»
Vous devez également être heureuse de voir que le Maroc a également vu beaucoup de femmes championnes après vous.
Nawal El Moutawakel : «C'est révolu l'époque où j'étais seule. À Los Angeles en 1984, il n’y avait que moi pratiquement. Mais aussi en tant que dirigeante ou journaliste. Je ne pouvais me confier et parler de mon angoisse, ma peur, ma crainte, mes soucis en tant que femme jeune fille. Je ne pouvais pas forcément parler avec un homme. C'est terrible. Aujourd'hui, c'est complètement l'opposé. La femme, la place de la femme dans le sport au Maroc, vous la voyez partout, on a des femmes boxeuses, lutteuses, karatéka, dans l'athlétisme, dans le golf, le football féminin (qui dispute la Coupe du monde pour la première fois de l’histoire). Sa Majesté le Roi Mohammed VI est un soutien exceptionnel. A mon époque, Feu Hassan II m’a décoré un an avant mon titre pour encourager la femme dans le sport. Il voulait déjà nous aider à réussir. Il a sûrement vu en moi celle qui pouvait mener la barque de sport au niveau national. Si c’est le cas, j’en suis encore plus fière. Maintenant, on a une femme qui préside les destinées de la Fédération royale marocaine de volley-ball. Tout a évolué et ce n’est encore que le début.»