A l’occasion de la journée internationale contre le cancer pédiatrique ce mercredi 15 février, Stéphane Vedrenne, président de la fédération «Grandir sans Cancer», revient pour CNEWS sur les progrès politiques, scientifiques et économiques en la matière ces dernières années.
Président de la fédération «Grandir Sans Cancer» depuis sa création en 2017, Stéphane Vedrenne est également le cofondateur de l’association «Eva pour la vie». Ce mercredi, dans le cadre de la journée internationale de lutte contre le cancer pédiatrique, il participe dès 12h au colloque organisé sur la thématique des cancers pédiatriques à l’Assemblée nationale. Pour CNEWS, il dresse un état des lieux de cette maladie encore peu médiatisée, qui le touche personnellement.
Quelles sont les chiffres liés aux cancers pédiatriques en France et à l’international ?
35.000 nouveaux cas de cancers pédiatriques sont diagnostiqués chaque année en Europe, dont plus de 2.500 en France. Au moins 6.000 enfants en décèderont dont 500 en France, ce qui en fait la première cause de mortalité par maladie chez l'enfant âgé de plus d’1 an.
Le nombre de nouveaux cas diagnostiqués en Europe et dans le monde n’a jamais baissé. Il serait plutôt en hausse, si l’on se fie à certaines études américaines ou européennes, de 1 à 2 % par an. En particulier, les tumeurs cérébrales pédiatriques.
Contrairement aux adultes, où 40 % des cancers sont jugés évitables grâce à des changements de comportements, la lutte contre les cancers de l’enfant repose à ce jour quasi-exclusivement sur le soin. La question des causes environnementales est souvent soulevée, y compris dans les publications scientifiques de l’INSERM.
A ce jour, moins de 10 % des cas de cancers sont liés à une prédisposition génétique. Pour les 90 % restants, on a donc des suspicions et des pistes de découvertes. Pourtant, la recherche des causes et origines de ces maladies, en vue de mieux prévenir ou détecter les situations à risques, n’est pas considérée comme une priorité.
Comment est né votre engagement associatif ?
L’évolution de la législation et du financement public de la recherche sur les cancers de l’enfant a été le cheval de bataille de l’association «Eva pour la vie». Ce nom correspond au prénom de ma première fille, décédée d’une tumeur du tronc cérébral quelques jours avant ses 8 ans (…) Avec ma femme Corinne, nous avions alors constaté les faibles moyens alloués à la recherche sur ces pathologies, et de graves carences sur les aspects sociaux, affectant particulièrement les familles modestes et les femmes seules.
C’est pourquoi nous avons eu de l’idée de la création d’un financement dédié à la recherche sur les cancers de l’enfant dès 2012. Cette idée a été soutenue progressivement par de plus en plus d’associations, de chercheurs, de médecins et d’élus. Nous nous sommes fédérés en co-fondant, avec près de 100 associations, la fédération «Grandir Sans Cancer» en 2017. Cette union, alliée à une plus grande reconnaissance du sujet par les parlementaires et le président de la République, a été un accélérateur considérable.
Nous avons fédéré nos propositions sur la question du financement de la recherche fondamentale, de la recherche clinique et du développement de traitements adaptés à l’enfant. Nous avons aussi insisté sur la lutte contre les inégalités subies par les familles face à la maladie d’un enfant, notamment dans le cas d’un décès.
Quelles ont été les avancées concrètes obtenues pour faciliter la vie quotidienne des familles touchées ?
Nous avons obtenu, grâce à l’implication du député Guy Bricout, une loi «deuil d’un enfant» qui permet notamment d’obtenir automatiquement de la CAF une aide de 2.150 euros en cas du décès d’un enfant. Cette loi permet aussi de mieux protéger les familles en maintenant pendant un trimestre après le décès de l’enfant les aides sociales, ainsi qu’une protection face à l’emploi et un accompagnement psychologique.
Nous avons obtenu des avancées sur la question de la scolarité, grâce à l’engagement de la députée et ancienne directrice d’école Béatrice Descamps, et de l’allocation journalière de présence parentale, versée aux parents devant réduire ou cesser leur activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant malade. Cette allocation a été portée de 310 à 620 jours, et revalorisée au montant du SMIC, soit environ 1.350 euros contre 900 euros précédemment, grâce aux travaux menés conjointement avec le député Paul Christophe.
Autre progrès qui ne dépend pas de l’Etat mais d’une volonté privée, «Eva pour la vie» et le premier assureur crédit français CNP Assurances ont œuvré ensemble pour l’extension de la «garantie emprunteur immobilier». Depuis décembre, tout contrat crédit immobilier souscrit à la banque Postale comprenant cette assurance obligatoire inclut la prise en charge des mensualités crédit, jusqu’à 4.000 euros par mois pendant 28 mois, pour tout parent assuré devant cesser de travailler pour s’occuper de son enfant gravement malade.
Comment évolue la recherche sur ce type de cancers ?
La recherche sur les cancers pédiatriques a longtemps été concentrée sur des essais cliniques, très peu financés par les industriels du médicament chez l’enfant. Ces essais sont issus des découvertes et des traitements développés chez l’adulte. Ils ont essentiellement permis d’améliorer, entre les années 1960 et 2000, le taux de survie des cancers pédiatriques proches de ceux de l’adulte, quand un traitement avait déjà été développé pour ces derniers. C’est le cas d’un certain nombre de leucémies.
A l’inverse, les progrès sont faibles pour les cancers spécifiques à l’enfant, ce qui est le cas d’un certain nombre de tumeurs solides, notamment cérébrales. Par exemple, le taux de survie des enfants atteints de tumeurs du tronc cérébral n’a pas évolué en 60 ans. De plus, les traitements administrés aux enfants ne sont pas sans conséquence : deux enfants sur trois qui survivent à leur cancer subiront des séquelles importantes, parfois irréversibles.
Depuis 2018, un fonds de 5 millions d’euros par an dédié à la recherche fondamentale sur les cancers pédiatriques a été débloqué par le gouvernement. Fin 2021, une autre enveloppe de 20 millions d’euros a été ajoutée, sous l’impulsion de la députée du Nord Béatrice Descamps. Cela a permis d’accélérer la recherche fondamentale, afin de mener des travaux dédiés aux cancers de l’enfant et particulièrement, ceux qui ne se guérissent toujours pas. On peut donc parler d’un vrai progrès.
Reste maintenant à passer à l’étape suivante : financer d’une façon plus solide une recherche clinique dédiée aux cancers de l’enfant. Enfin, il est indispensable de mener une vraie politique de développement de médicaments pédiatriques. Sur ce point, nous avons un retard considérable : les grands industriels du médicament considèrent qu’il s’agit d’un marché trop «peu rentable».
Découvrir des nouvelles voies thérapeutiques ne sert à rien si elles ne sont pas mises sur le marché. Nous demandons au gouvernement de créer un fonds visant à financer le développement d’un établissement public du médicament. Ce dernier serait dédié au développement de traitements pédiatriques, priorisant les cancers et les pathologies de mauvais pronostic. Nous souhaitons aussi que l’Etat encourage BPI France à mettre en place un volet «santé de l’enfant» visant à financer la croissance de start-ups privées sur ces sujets.
Quels sont les futurs chantiers majeurs sur le plan législatif ?
Les familles touchées par la maladie grave d’un enfant doivent être mieux protégées face à leur employeur, face au logement et face à l’administration fiscale. Les aides obtenues sont également trop longues à être versées : 3 à 4 mois pour l’AJPP (allocation journalière de présence parentale) et 6 à 9 mois pour l’AEEH (allocation d’éducation de l’enfant handicapé).
Cette situation n’est pas tenable pour les familles d’enfants malades, qui peuvent se retrouver en grande difficulté. Parfois, elles sont même dans l’impossibilité d’accéder aux soins, non pas à cause de leur coût direct mais des délais de prise en charge.
Il faut accélérer le développement de traitements pédiatriques, qui passe sans doute par la prise en main de la question par les pouvoirs publics (…) Notre pays en a les moyens : le chiffre d'affaires global de l'industrie pharmaceutique française en 2021 représente 63,1 milliards d'euros. Une simple contribution, mineure pour ne pas dire ridicule, de leur part permettrait de débloquer la situation pour protéger ce qu’il y a de plus précieux : la vie des enfants.