Révélée par une enquête choc qui fait grand bruit au Royaume-Uni, l'affaire des «Duchy files» pointe les millions de livres sterling de revenus en loyers perçus par la famille royale auprès d'organismes publics, notamment du NHS (service de santé britannique), d’écoles et des forces armées.
Un nouveau documentaire a déclenché une controverse au Royaume-Uni. Diffusé début novembre sur Channel 4 «The King, the Prince and their Secret Millions», ainsi qu’un article du Sunday Times publié dans la foulée, ont levé le voile sur les «Duchy files», à savoir les millions que le roi Charles et le prince William perçoivent grâce à des domaines fonciers et immobiliers remontant à l'époque médiévale.
L’enquête rapporte en effet que les domaines privés du souverain de 75 ans et de son héritier de 42 ans détiennent de juteux contrats avec des organismes publics et des organisations caritatives. Elle s’appuie sur plus de 5.000 documents du registre foncier liés aux énormes portefeuilles immobiliers des deux hommes, à savoir le duché de Lancaster du roi et le duché de Cornouailles du prince William. Père et fils détiennent à eux deux un parc impressionnant de 5.410 propriétés (terrains ou bâtiments) réparties sur 73.000 hectares à travers l’Angleterre et le pays de Galles, soulignent les auteurs de l’enquête.
«Nous avons analysé les adresses de chaque parcelle, explique le Sunday Times. Nous avons découvert que ces entités gagnaient des millions de livres chaque année à travers des contrats commerciaux signés avec des agences gouvernementales, des collectivités territoriales, des entreprises et le grand public. Le plus souvent sous la forme de baux locatifs ou de ‘taxes féodales’ sur l’occupation de terres. Tous les titres de propriété et les baux sont établis au nom du monarque et du prince William, qui sont très impliqués dans la gestion de leurs domaines», assure le Sunday Times.
finances publiques à des fins privées
Le roi Charles et son fils le prince William augmentent ainsi considérablement leurs fortunes personnelles grâce aux loyers que leur versent des institutions britanniques situées dans leurs fiefs, telles que des écoles financées par l’Etat, des casernes de pompiers et même des hôpitaux.
Le ministère de la Défense serait facturé pour l'accès à l'amarrage des bateaux et au ravitaillement des navires de guerre, et un conseil municipal local pour l'exploitation d'un pont à péage.
Les contrats avec les organismes publics comprendraient notamment un accord de 37,5 millions de livres sterling (44,7 millions d'euros) entre le duché de Cornouailles et le ministère de la Justice pour louer la prison de Dartmoor, et un accord de 11,4 millions de livres sterling (13,6 millions d'euros) entre l’hôpital Guy's and St Thomas' NHS Trust et le duché de Lancaster, pour louer un entrepôt à Londres sur 15 ans pour stocker les ambulances.
«Les domaines privés de Charles et William prétendent qu’ils ne sont pas financés par le contribuable», explique le documentaire, «mais [la prison de Dartmoor] n’est qu’un exemple parmi tant d’autres».
Le port de Liverpool, situé dans le périmètre du duché de Lancaster, s’acquitte entre autres de 30 pences (environ 35 centimes d’euro) par conteneur déchargé, relève également le Sunday Times.
Le duché de Cornouailles perçoit chaque année 10.000 livres (12.000 euros) de droit d’accostage dans le sud-ouest de l’Angleterre de la part de la Royal Navy. «Le site Internet des duchés assure que les organismes s’autofinancent, sans apport d’argent public, mais les 'Duchy Files' démontrent que certains contrats proviennent de services publics financés par le contribuable.»
Au cours de l'année écoulée, les accords conclus par les duchés de Lancaster et de Cornouailles auraient permis de récolter environ 50 millions de livres sterling (environ 59,6 millions d’euros), est-il indiqué.
Accords fiscaux
«Ces révélations posent question quant aux accords fiscaux entre la famille royale et le Trésor public», souligne The Daily Telegraph. En effet, les successions n’étant pas soumises à l'impôt sur les sociétés, les membres de la famille royale ne paient pas d'impôt sur les plus-values sur les biens qu'ils commercialisent.
La baronne Margaret Hodge a déclaré lors de la diffusion du documentaire : «Ce qui devrait se passer, c’est que les duchés devraient payer l’impôt sur les sociétés sur les bénéfices qu’ils en tirent, comme le ferait toute autre entreprise britannique gagnant de l’argent de cette manière.»
La pilule est d’autant plus difficile à avaler que la famille royale perçoit par ailleurs une dotation annuelle calculée en fonction des bénéfices générés par les domaines royaux (Crown Estate) que l’Etat gère depuis plus de deux cent soixante ans. D’un montant de 132 millions de livres (157 millions d’euros) pour l’année 2025, la «sovereign grant» est destinée «à financer les palais, les résidences et les fonctions officielles des membres» de la famille.
«Quelles que soient vos opinions sur la famille royale, nous pouvons certainement tous convenir qu’elle ne devrait pas tirer profit de notre NHS (système de santé britannique financé par l'impôt et les cotisations à l'assurance nationale, ndlr)», a déclaré NHS Million, une campagne non officielle menée par des membres du NHS sur X.
Le maire de Liverpool, Steve Rotheram, a également déclaré à Channel 4 avoir été surpris de découvrir que le duché de Lancaster possédait des rives de la rivière Mersey et qu'il percevait une part des revenus générés par le quai. «Il y a un débat beaucoup plus large sur la question de savoir si les rois du 21e siècle devraient recevoir de l'argent de terres qui ont été confisquées aux gens à l'époque féodale», a-t-il déclaré.
Des duchés conformes aux lois
Dans son éditorial du 3 novembre, le Sunday Times appelle le souverain et son héritier à plus de transparence sur leurs propriétés. «Plus d’ouverture serait un objectif louable pour une monarchie qui se veut moderne», estime la publication.
«Le duché de Lancaster fonctionne comme une société commerciale, gérant un large éventail de biens fonciers et immobiliers en Angleterre et au Pays de Galles. Il se conforme à toutes les lois et normes réglementaires britanniques applicables à son éventail d'activités commerciales», a justifié un porte-parole du duché de Lancaster auprès du Sunday Times.
Et un porte-parole du duché de Cornouailles a déclaré : «Le Duché de Cornouailles est un domaine privé avec un impératif commercial que nous réalisons parallèlement à notre engagement de restaurer l'environnement naturel et de générer un impact social positif pour nos communautés.»
Selon les propos rapportés par Town&Country, il a ajouté : «Le prince William est devenu duc de Cornouailles en septembre 2022 et s'est depuis engagé à une transformation en profondeur du duché. Cela comprend un investissement important pour que le domaine soit à zéro émission nette d'ici la fin de 2032, ainsi que la mise en place d'un soutien ciblé en matière de santé mentale pour nos locataires, et la collaboration avec des partenaires locaux pour aider à lutter contre le sans-abrisme en Cornouailles.»