A 68 ans, l'ex-PDG d'Elf Loïk Le Floch-Prigent a tourné la page du scandale politico-judiciaire: consultant dans le pétrole, il s'est lancé dans l'écriture et publie un polar, rédigé en prison et inspiré par sa retraite bretonne de Trébeurden.
Dans la maison en pierre achetée par son père au début des années 1960 à Trébeurden, cité de son enfance, Loïk Le Floch-Prigent est décontracté, pantalon beige retroussé aux chevilles et tongs orange. Des salopettes de pêche sèchent sur la terrasse.
Son épouse équeute des haricots dans la salle à manger, pendant qu'il finit son petit déjeuner après avoir pêché à pied une partie de la nuit, une passion qui ne l'a pas quitté depuis l'âge tendre.
Des années plus tard, devenu grand patron, il plonge avec l'affaire Elf, géant pétrolier qu'il dirige de 1989 à 1993. Il est condamné pour abus de biens sociaux en 2003 dans le volet principal du dossier, impliquant près de 305 millions d'euros de détournements. D'autres condamnations suivent. Il passera plus de deux ans en prison.
Aujourd'hui il officie toujours dans le pétrole, mais comme consultant: "Quinze jours par mois à Brazzaville, Abidjan, Addis Abeba et Dubaï, les quinze autres jours à Paris avec des voyages en Italie et dans les pays d'Europe de l'est".
Il revient régulièrement à Trébeurden. C'est là qu'il situe l'action de son polar "Granit Rosse" (Coop Breizh), où la tenancière d'un bistrot se lance, en coiffe et kabig (manteau breton), dans une enquête pour retrouver l'assassin de son ami d'enfance.
Depuis sa parution mi-juin, l'ancien industriel dédicace son livre de bonne grâce dans les librairies costarmoricaines. Il s'est écoulé à 2.000 exemplaires, un score honorable, et une réédition est prévue à la rentrée.
Le roman est né en 2003, à la prison de Fresnes. Il voulait rédiger une "Histoire du pétrole", mais son cousin lui recommande plutôt d'écrire "un policier" sur Trébeurden pour se détendre.
Pour ce livre, il s'inspire "des gens d'ici" dont il se sent plus proche que du "monde parisien" qui lui a tourné le dos au moment de l'affaire Elf: "C'est comme s'ils avaient peur de la contamination, ils ont traité ma famille parisienne en paria, ce qui n'a pas été le cas en Bretagne".
"J'ai toujours été rustique"
"Je m'aperçois que je ne me suis jamais vraiment adapté à Paris", confie-t-il. L'ancien PDG dit fuir la capitale dès que possible et profite de chaque instant de liberté pour s'évader en lisant romans policiers et essais de philosophie.
Avant son polar breton, il a publié "La crevette et le champignon", dont il illustre la couverture, en tenue de pêcheur. Il avait dénoncé le système pénitentiaire dans un essai, "Une incarcération ordinaire".
Il sort d'une armoire une épaisse pochette verte. A l'intérieur, les prémisses d'un ouvrage sur "l'image de la femme dans la BD franco-belge entre 1950 et 1968".
Il envisage aussi de publier une biographie et un essai sur l'énergie. "Ma préoccupation est de comprendre comment la politique de l'énergie se fait dans le monde et comment je peux y contribuer", dit-il.
S'il veut bien parler de pétrole, il refuse d'évoquer l'affaire Elf: "Je n'y pense plus, c'est complètement derrière moi".
Quant au train de vie luxueux qui lui a été attribué, aux frais de l'ancienne entreprise publique, Loïk Le Floch-Prigent jure que "tout ce qui a été écrit sur moi est complètement faux, une autre image que la mienne a été colportée".
Lui préfèrerait sans doute qu'on retienne l'image d'un homme qui demande toujours à sa maman de 90 ans de repriser ses vêtements. Et il affirme sans complexe: "J'ai toujours été rustique et je le suis resté".