Dans un verdict rendu ce mercredi 3 juillet, la Cour suprême japonaise a jugé inconstitutionnelle une loi eugéniste entrée en vigueur à la fin des années 1940 et ayant conduit à la stérilisation forcée de milliers de personnes.
La Cour suprême japonaise a tranché : la loi aujourd'hui caduque ayant conduit à la stérilisation forcée de milliers de personnes dans le pays est inconstitutionnelle. La Haute cour a également jugé qu'un délai de prescription de 20 ans pour les demandes d'indemnisation des victimes ne pouvait être appliqué. Pendant longtemps, l'État japonais avait refusé de s'excuser et de dédommager les victimes, affirmant que le dispositif mis en place à l'époque était «conforme à la loi».
En 2023 et après quatre années d'enquête, la Diète - le parlement japonais - a reçu un rapport de 1.400 pages concernant le «programme de stérilisation forcée» promu par le gouvernement nippon il y a presque huit décennies, qualifiée comme «la pire violation des droits de l'homme du Japon de l'après-guerre».
C'est à partir de 1948, juste après les ravages de la Seconde Guerre mondiale et dans un contexte d'«explosion démographique» que cette loi, dite eugénique, a été promulguée au Japon. Soumise par le parlementaire et japonais Yasaburô Taniguchi, elle proposait «d'éviter la naissance d'enfants défectueux d'un point de vue eugénique et de protéger la vie et la santé de la mère» pour l'«intérêt public».
Ce texte préconisait ainsi la stérilisation et les avortements pour les personnes atteintes d'un handicap mental ou d'une maladie héréditaire. Entre autres «les schizophrènes», « les maniaco-dépressifs» ou encore «les épileptiques» étaient concernés.
Dans son verdict, le tribunal de Tokyo a jugé qu'il serait «extrêmement injuste» et «absolument intolérable» que «l'Etat se soustraie à sa responsabilité concernant le paiement des dommages» aux victimes. «Le fait que le gouvernement invoque le délai de prescription constitue un abus de pouvoir impardonnable», a-t-il ajouté.
Le gouvernement japonais a reconnu qu'environ 16.500 personnes avaient été stérilisées en vertu de cette loi eugéniste en vigueur entre 1948 et 1996 au Japon. Les autorités ont évoqué 8.500 personnes supplémentaires stérilisée avec leur consentement mais selon les avocats elles avaient elles aussi subi des pressions.
Selon les chiffres, 65% des personnes stérilisées n'étaient pas consentantes ou étaient sujettes à un accord forcé. Cette loi aurait même permis la castration et l'ablation de l'utérus de jeunes adolescents. Parmi les victimes, le rapport déposé au parlement japonais compte deux victimes âgées de neuf ans seulement à l'époque.
Une loi abrogée en 1996
Ce n'est qu'en 1996, il y a moins de trente ans, que les stérilisations eugéniques ont été abrogées, et la loi de Yasaburô Taniguchi changée en loi de «protection du corps de la mère». Certains articles permettent en effet l'interruption d'une grossesse en cas de viol, si le fœtus présente une maladie grave, si ce dernier n'est pas viable ou si la vie de la mère est en danger.
Par l'intermédiaire de son porte-parole, Yoshimasa Hayashi, le gouvernement japonais a assuré qu'il «paiera les compensations selon les termes du jugement rendu» ce mercredi. Les victimes, elles, se sont «réjouies de tout (leur) coeur» de ce verdict.
«Nous ne pouvons pas pardonner l'irresponsabilité du gouvernement et son manque de respect des droits de l'homme, ainsi que le fait que ce qui est maintenant décrit comme la plus grande violation des droits de l'homme dans l'histoire d'après-guerre du Japon soit resté sans réponse pendant si longtemps», ont déclaré ces dernières dans un communiqué.
Plusieurs victimes ont témoigné de la souffrance liée à leur stérilisation forcée. Utilisant un nom d'emprunt dans les médias locaux, Nomura Hanako, atteinte de surdité, s'est notamment exprimée sur son désir d'élever des enfants et son deuil d'une «vie heureuse».
Cette sombre période de l'histoire japonaise avait dans un premier temps été remise sous le feu des projecteurs en 2018, lorsqu'une femme d'une soixantaine d'années a poursuivi le gouvernement pour une opération qu'elle avait subie à l'âge de 15 ans.
Cette procédure avait ouvert la voie à des poursuites similaires et, en 2019, le gouvernement avait adopté une loi prévoyant une indemnité forfaitaire de 3,2 millions de yens (environ 18.500 euros aujourd'hui) par victime. Cette somme, jugée insuffisante par les survivants, les avait conduit à porter leur combat devant les tribunaux.