Des conversations secrètes entre hauts gradés de l’armée de terre allemande, en lien avec la guerre en Ukraine, se sont retrouvées sur les réseaux sociaux ce vendredi 1er mars, plaçant Berlin ainsi que ses alliés dans une situation très délicate.
Le chancelier Olaf Scholz a promis une enquête «très approfondie» après la diffusion depuis la Russie d'échanges confidentiels entre plusieurs officiers allemands sur des livraisons d'armes à l'Ukraine. Parmi ces échanges : une conversation secrète entre hauts gradés de l'armée de l'air ayant fait l'objet d'une écoute illégale, selon le ministère allemand de la Défense.
«Selon notre évaluation, une conversation au sein de la division de l'armée de l'air a été interceptée», a indiqué un de ses porte-paroles. Il s'agit d'«une affaire très grave et c'est la raison pour laquelle elle fait désormais l'objet d'une enquête très minutieuse, très approfondie et très rapide», a déclaré le chancelier allemand à l'occasion d'une visite à Rome.
Une fuite sur les réseaux sociaux
La controverse a émergé après la diffusion en Russie, sur les réseaux sociaux, de l'enregistrement d’une demi-heure d'une supposée conversation entre des officiers allemands de haut rang en visioconférence. Puis de sa rediffusion par la rédactrice en chef de la chaîne d'État russe RT, Margarita Simonyan, laquelle l’a présentée comme un échange daté du 19 février.
Bien que floue sur la question de l’authenticité de l’enregistrement, la réponse du ministère de la Défense allemand, donnée ce samedi, ne semble pourtant pas la contredire – ou au moins pas complétement. «Nous ne sommes pas en mesure de dire avec certitude si des modifications ont été apportées à la version enregistrée ou transcrite qui circule sur les réseaux sociaux», a ainsi lancé la porte-parole du ministère.
Des frappes contre le pont de Crimée
Dans cette conversation, les participants parlent notamment de l'hypothèse de la livraison à Kiev de missiles de longue portée Taurus, de fabrication allemande, ainsi que de ce qui serait nécessaire pour permettre aux forces ukrainiennes de les utiliser. Et, enfin, de leur impact éventuel.
Les officiers évoquent en particulier l'option de frappes visant le pont de Crimée, reliant la péninsule de Kertch et le territoire russe. L'un d'eux souligne notamment qu'il faudrait entre 10 et 20 missiles pour en venir à bout. Pour rappel, la péninsule de Crimée a été annexée en 2014 par Moscou.
Ces échanges, préparatoires semble-t-il à un briefing pour le gouvernement allemand, placent ainsi l’Allemagne toute entière dans une situation particulièrement inconfortable alors que Berlin s’est toujours officiellement opposée à toute livraison de missiles Taurus - ces engins dont la portée de plus de 500 km pourrait permettre aux Ukrainiens d’atteindre Moscou. Et ce, alors même que Kiev n’a cessé d’en réclamer la livraison, mais a toujours été confronté au refus de l'Allemagne par crainte, justement, d'une escalade de la guerre.
Des plans d’alliés dévoilés
L’ampleur de la fuite ne s’arrête pas là. Dans l'enregistrement, les participants évoquent aussi des détails sur les livraisons et l'emploi de missiles de longue portée Scalp fournis depuis l'an dernier par la France et la Grande-Bretagne à l'Ukraine.
Cette partie de l'écoute est peut-être l'une des plus gênantes pour Berlin, car elle dévoile des secrets de pays alliés. Olaf Scholz a déjà récemment suscité l'irritation en Grande-Bretagne pour avoir affirmé que les Britanniques et les Français aidaient les soldats ukrainiens pour le maniement de ces missiles, et la définition des cibles.
La chaîne de télévision publique ARD parle de «catastrophe» pour les services secrets allemands, accusés de légèreté dans leurs mesures de sécurité. Selon l'hebdomadaire Spiegel, la visioconférence a eu lieu via la plateforme publique WebEx, et non via un réseau interne ultra-sécurisé de la Luftwaffe.
Des Allemands redevenus «ennemis jurés» de la Russie
Côté russe, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, en visite en Turquie, a voulu voir dans cette affaire l'illustration «que le camp de la guerre en Europe est toujours très, très fort». Le numéro 2 du Conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev, a quant à lui jugé sur son compte Telegram que «nos rivaux de toujours, les Allemands, sont redevenus nos ennemis jurés» et préparent des tirs de missiles pour frapper «la patrie» russe.
De nombreux responsables à Berlin y voient, eux, une opération de Moscou pour peser dans le débat allemand sur les livraisons d'armes à l'Ukraine. Pour l'experte de la Défense du parti libéral FDP, membre de la coalition gouvernementale, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, l'intention de Moscou «est évidente» : «intimider» Olaf Scholz pour qu'il ne revienne pas sur son refus de livraison des Taurus, a-t-elle dit au groupe de presse Funke.