Après un an de guerre en Ukraine, des victoires ont été remportées dans les deux camps, ne laissant se dessiner aucune issue plus qu'une autre. Néanmoins, avec l’envoi de chars d’assaut d’ici au printemps prochain, le conflit pourrait prendre une nouvelle tournure. Voici trois scénarios possibles.
Un conflit qui s’enlise
Il y a un an maintenant, il paraissait peu probable que les Ukrainiens puissent tenir autant et aussi longtemps. Désormais, avec l’aide de l’Otan et son soutien militaire, le pays résiste. Pour Peer De Jong, vice-président de l'institut Theemis et spécialiste de géopolitique, «les opinions publiques ont un rôle très important aujourd’hui en Europe. Elles poussent dans un sens qui est celui de l’aide à l’Ukraine. Demain si elles lâchent, les dirigeants politiques lâcheront l’Ukraine», assure-t-il auprès de CNEWS.
Et si les Ukrainiens continuent de résister, c’est une réplique des combats de 2014 en Crimée qui pourrait s’installer. Notamment avec une ligne de combat avançant ou reculant de plusieurs mètres, voire centaines de mètres, au fil des mois. C’est d’ailleurs une hypothèse plus que probable, puisque les Russes semblent vouloir se concentrer essentiellement sur la région du Donbass à l’est de l’Ukraine. Le groupe paramilitaire Wagner a également revendiqué la prise de la localité ukrainienne de Paraskoviïvka, au nord Bakhmout, le 17 février dernier.
Malgré l’envoi de 321 chars lourds par les pays alliés, cela pourrait ne pas être suffisant. Les Ukrainiens ont déjà perdu la moitié de leurs chars en un an, soit un peu plus de 1.000. Du côté russe, un haut responsable américain indiquait à CNN en mai dernier, que les pertes étaient à peu près équivalentes. La différence pourrait donc se faire ressentir par le nombre de soldats, et sur ce plan-là les Russes sont largement plus nombreux. Mais le déroulé du conflit a montré que plusieurs facteurs comme le mental ou encore la stratégie militaire pouvaient équilibrer le rapport de force des deux camps. Néanmoins, ce modèle de haute intensité, gourmand en pertes matérielles et humaines, nécessite de la part de l’Otan un soutien constant.
Plusieurs études, dont l'une très remarquée de l'institut américain Rand Corporation, pointent aussi les risques d'un enlisement du conflit. Une guerre prolongée ne serait pas dans «l'intérêt des Etats-Unis», avertissait la Rand en janvier. Avec les élections présidentielles en 2024, si Joe Biden n’était pas réélu, le maintien de l’effort de guerre ne serait plus le même, en rappelant que la première puissance mondiale représente à elle seule plus de 100 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine, contre 67 milliards pour l’Europe.
Une offensive généralisée des Russes
Le Kremlin se concentre aujourd’hui exclusivement sur l’est de l’Ukraine, à savoir la rive droite du Dniepr. Or si l’objectif des Russes est de conquérir toute l’Ukraine, il serait possible qu’à la venue du printemps, au moment où les chars seront livrés, ils tentent une offensive généralisée. Dans cette optique-là, pour accélérer les combats, un assaut serait donné avec des tirs de missiles de tous les côtés et dans tout le pays qui ratiboiseraient des villes entières, à l’image du début du conflit.
Une destruction programmée en somme, conventionnelle et sans usage nécessaire du nucléaire. Les soldats pourraient alors avancer plus facilement et rapidement dans les villes détruites par des tirs préliminaires. Ce scénario s’explique aussi par le manque de succès véritable des Russes pour le moment.
De plus, un autre axe vient éclairer un potentiel changement de stratégie de la part du Kremlin, il s’agit de la Moldavie. En effet le 13 février dernier, la présidente moldave Maia Sandu détaillait un projet présumé de Moscou pour renverser le pouvoir pro-européen. Ce sont les services secrets ukrainiens qui auraient intercepté des documents évoquant un éventuel coup d’Etat.
Cette ex-république soviétique, du fait de son histoire, possède encore aujourd’hui une forte imprégnation russe, qui se ressent notamment en politique avec le parti de l’oligarque prorusse en fuite Ilan Sor, ou encore la petite région de la Transnistrie, armée et soutenue par la Russie. Ce serait donc par cette zone précisément que les Russes pourraient tenter de s’infiltrer à l’ouest de l’Ukraine, sans passer par la Biélorussie comme l’année précédente au risque de faire face à des terrains minés.
Pour Carole Grimaud, spécialiste de la Russie et fondatrice du Center for Russia and Eastern Europe Research, la Transnistrie accueillant déjà des soldats Russes «offrirait une plate-forme pour conquérir l’Ouest». L’intérêt serait ainsi de couper Kiev, la capitale, de la Pologne d’où les aides sont envoyées. Mais cela prendrait du temps, pour que le Kremlin organise une telle offensive par l’ouest, et nécessiterait beaucoup d’hommes.
Une escalade
Si «une guerre se termine toujours par une négociation», selon Peer De Jong, tout porte à croire que ce n’est pas pour tout de suite. Etant donné les récentes déclarations d'Emmanuel Macron lors de la Conférence annuelle de la sécurité à Munich, ou tout simplement les actes à la fois de l’Otan et de la Russie, les deux camps sont dans l’effort de guerre et se préparent à un conflit qui va durer.
De plus, le dialogue avec Vladimir Poutine semble coupé depuis plusieurs mois. Officiellement, la dernière fois qu’Emmanuel Macron a échangé avec son homologue russe date du 11 septembre 2022 : «on voit bien que ça fait trois mois que personne n’a parlé avec Poutine. Donc aujourd’hui l’option diplomatique est nulle et non avenue», estime le spécialiste. Si bien que même du côté ukrainien rien ne semble de dessiner de la part de Volodymyr Zelensky, réitérant ses demandes d’armements plus récemment à Bruxelles.
Et pour cause, en continuant d’armer l’Ukraine en munitions et en armes lourdes, les dirigeants des pays de l’Otan non seulement favorisent la poursuite des combats en éloignant toute perspective de négociation, mais risquent l’escalade. Le dirigeant de l’ONU, Antonio Guterres avertissait déjà début février : «je crains que le monde ne soit pas en train d'avancer en dormant comme un somnambule vers une guerre plus large mais je crains qu'il le fasse en fait les yeux grands ouverts».
Prises dans l’aide, les forces alliées ne peuvent plus reculer et franchissent un peu plus les «lignes rouges» de leur implication, dont la qualification de «cobelligérants» pourrait se faire valoir de manière officielle si un jour des soldats européens, par exemple, étaient amenés à s’engager physiquement dans les combats.
«Dans cette escalade possible, il y a la confiance des alliés de l’Otan [dans le fait] que, finalement, la Russie, ce n’était qu’une image de puissance qui était projetée, mais qui n’est pas si puissante que ça», confie Carole Grimaud, pointant ici du doigt les menaces de Moscou de faire usage du nucléaire, qui se sont soldées par de «simples» lancés de missiles sur le territoire ukrainien en représailles. «C’est une confiance gagnée durant ces douze mois qui donne aux Occidentaux la possibilité d’aller plus en avant et de donner plus d’armes».