Xi Jinping a été reconduit dimanche à la tête du Parti communiste chinois (PCC) à l'issue d'un congrès qui a illustré la toute-puissance du président chinois. Pour Emmanuel Veron, docteur en géographie et spécialiste de la Chine contemporaine, le parallèle avec Mao n'est pas excessif.
Le XXe congrès du Parti communiste chinois a reconduit Xi Jinping pour un troisième mandat de secrétaire général. Comment s'est-il assuré de sa réélection ?
Après la mort de Mao, le Parti communiste chinois était travaillé par des luttes intestines entre différentes factions. Son successeur, Deng Xiaoping a veillé à maintenir un certain équilibre au sein du parti. Mais depuis son arrivée au pouvoir en 2013, Xi Jinping entreprend d'éliminer méthodiquement toute influence rivale pour imposer sa propre ligne ultra-autoritaire, celle d'un «Mao 2.0».
L'ancien président Hu Jintao a été évacué du Congrès dimanche, visiblement contre son gré. Comment interpréter cette scène ?
C'est le paroxysme de la politique de neutralisation des factions menée par Xi Jinping. Hu Jintao a été le représentant d'une Chine plus souple, ouverte sur le monde avec les JO de Pékin, l'adhésion du pays à l'OMC, etc. Depuis 2013, il a à plusieurs reprises critiqué Xi Jinping, sur sa politique Zéro Covid ou sa diplomatie trop agressive notamment.
En l'humiliant publiquement devant les caméras du monde entier, Xi Jinping montre qu'il a la capacité d'écarter du pouvoir un ancien cadre du parti et avec lui toute sa sphère d'influence (celle de la Ligue de la jeunesse communiste). Les purges ne sont pas quelque chose de nouveau au PCC. Ce qui est inédit, c'est que cette scène se déroule pendant le congrès, aux yeux de tous.
Que nous apprend la nouvelle composition du comité permanent du bureau politique, l'instance suprême du PCC ?
Pour la première fois, Xi Jinping n'a plus aucun rival au sein du comité permanent. Li Keqiang, actuel Premier ministre et protégé de Hu Jintao, n'est pas renouvelé. Li Qiang, un fidèle du président chinois, devient numéro 2 du parti et devrait prendre ses fonctions de Premier ministre en mars prochain, au moment de la réélection de Xi Jinping à la tête de la Chine.
Plus globalement, on assiste à une concentration du pouvoir autour d'une poignée de proches de Xi Jinping. Le président chinois va gouverner avec une dizaine de personnes tout au plus, alors que par le passé ils étaient une cinquantaine.
Le pouvoir de Xi Jinping semble sans limite. C'est du jamais vu depuis Mao ?
Je pense qu'on peut le dire, oui, il y a beaucoup de similitude : un effet de sidération au sein du parti, une paranoïa généralisée chez les dirigeants... L'expulsion de Hu Jintao ne va pas arranger les choses. Xi Jinping tient désormais à peu près tout, ce qui n'était pas tout à fait le cas ces dix dernières années.
Nous nous trouvons au commencement d'une nouvelle phase de règne absolu, qui pourrait durer jusqu'à la mort de Xi Jinping (le président chinois a supprimé la limite de deux mandats en 2018, NDLR).
Faut-il craindre un nouveau durcissement de la politique étrangère chinoise ?
En effet. La composition du comité permanent confirme les velléités chinoises vis-à-vis de Taïwan et laisse présager un durcissement des rapports de force avec le Japon, les Etats-Unis et l'Europe. Il faut s'attendre à une offensive en Europe de ceux qu'on appelle les «loups combattants», ces diplomates chinois au style très agressif qui mènent une guerre médiatique et informationnelle contre les valeurs occidentales.
Une action contre Taïwan est-elle inéluctable ?
A moyen-terme, c'est une très forte probabilité. Le régime communiste considère comme insupportable l'idée d'avoir deux Chines. Taïwan doit être réintégrée à la matrice chinoise d'une manière ou d'une autre. Xi Jinping a promis de le faire. Il y a une forte probabilité d'une action militaire dans les prochaines années.
Quelle position adopte la Chine vis-à-vis de la guerre en Ukraine ?
Comme la Russie, la Chine adopte un discours structuré contre le champ cognitif et lexical occidental. Mais les enjeux commerciaux avec l'Europe et les Etats-Unis sont trop forts pour que la Chine soutienne la Russie, que ça soit économiquement ou militaire.
Pékin sait jouer d'une supposée neutralité, notamment lors des votes à l'ONU, pour maintenir ses bonnes relations avec Moscou. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'à terme, le but de la Chine est de s'imposer face à la Russie pour s'affirmer comme LA puissance alternative à l'Occident.