Une machine à «briser» les détenus. L'opposant russe Alexeï Navalny est arrivé ce week-end dans la colonie pénitentiaire de Pokrov, à 100 km à l'est de Moscou, où il va purger sa peine de deux ans et demi pour violation de son contrôle judiciaire. Les témoignages d'anciens prisonniers décrivent un lieu d'une sévérité extrême, où la pression psychologique est constante.
Composée de baraquements gris à deux étages entourés d'une clôture de tôle surmontée de barbelés, la colonie pénitentiaire «numéro 2», qui accueille environ 800 détenus, est pourtant classée comme étant de «régime normal» par les médias d'Etat russes. Autrement dit, les conditions de détention y sont vues comme moins dures que dans certaines autres colonies.
Dans les faits, le quotidien y est beaucoup moins rose. «Cette colonie ne traite pas les gens comme des humains», assène Konstantin Kotov, un activiste passé par Pokrov pendant un an et demi pour avoir enfreint la loi russe sur les manifestations. L'administration de la prison s'efforce de «casser psychologiquement les gens», affirme Dmitri Demouchkine, un homme politique nationaliste qui y a passé deux ans, à la chaîne télévisée d'opposition Dojd.
Toutes les tâches sont minutées, les détenus sont forcés à courir tout le temps et n'ont quasiment aucun temps libre. Dans ces colonies, le travail y est en effet souvent obligatoire (menuiserie, couture, métallurgie, cuisine...). Un système régulièrement pointé du doigt par les groupes de défense des droits humains, qui dénoncent des conditions harassantes et des journées de travail interminables.
des prisonniers jouent le rôle de gardiens
A l'intérieur des «brigades» d'une cinquantaine de personnes, dans lesquelles sont répartis les 800 détenus, la discipline est assurée par les prisonniers eux-mêmes, en lien avec les gardiens. En échange de cette mission, ces «activistes», comme ils sont appelés, peuvent obtenir une libération anticipée. Ils font vivre un enfer à leurs codétenus, les obligeant par exemple à multiplier les tâches inutiles, comme faire son lit ou s'habiller, ou à se lever dès qu'ils rentrent dans la pièce.
La colonie dispose également d'un «secteur de contrôle renforcé», où Alexeï Navalny pourrait être envoyé quelques semaines à son arrivée selon Dmitri Demouchkine, qui y a passé huit mois. Les détenus y ont interdiction de parler ou de lire, doivent parfois rester des heures debout, les mains derrière le dos. Ils sont contraints d'utiliser des toilettes sans cloison, avec un «activiste» qui les surveille.
De par son statut d'adversaire numéro un de Vladimir Poutine, Alexeï Navalny ne devrait pas bénéficier d'un traitement de faveur, au contraire même, les prisonniers politiques étant traités avec encore plus de sévérité. En effet, le but même de ces colonies est de mettre hors-jeu les opposants, selon Maxime Troudolioubov, rédacteur du site d'information Meduza. «Soit une personne est brisée psychologiquement, soit elle quitte la Russie immédiatement après avoir purgé sa peine. Dans les deux cas, un opposant sort du terrain de jeu», explique-t-il à l'AFP. L'incarcération de l'ex-avocat de 44 ans inquiète donc l'opposition russe, qui se demande dans quel état son champion sortira de prison et s'il sera toujours prêt à affronter le Kremlin.