Le nouveau Premier ministre Abdelaziz Djerad, un universitaire disposant d'une solide connaissance des rouages de l'Etat, a dit vouloir regagner la «confiance» du peuple algérien samedi, peu après sa nomination, sur fond de contestation populaire persistante.
M. Djerad, 65 ans, titulaire d'un doctorat en Sciences politiques, a «été chargé de constituer un nouveau gouvernement», a indiqué la présidence de la République dans un communiqué cité par la télévision publique. Il succède à Sabri Boukadoum, ministre des Affaires étrangères qui avait été nommé Premier ministre par intérim après la démission de Noureddine Bedoui le 19 décembre, jour de l'intronisation d'Abdelmadjid Tebboune comme nouveau chef de l'Etat. La cérémonie de passation entre MM Boukadoum et Djerad a eu lieu samedi dans la foulée de l'annonce.
La TV d'Etat a par ailleurs montré des images de M. Djerad reçu par M. Tebboune, sorti vainqueur le 12 décembre d'une présidentielle boudée par la population et décriée par le mouvement de contestation -le «Hirak»- qui secoue l'Algérie depuis février dernier. «Nous devons travailler avec toutes les compétences nationales et les cadres du pays, les citoyennes et les citoyens, afin de sortir de cette période difficile», et faire face aux «défis socio-économiques», a plaidé le nouveau Premier ministre à la sortie de cet entretien. «Nous sommes devant un grand défi pour regagner la confiance» du peuple, a-t-il ajouté.
Tâche délicate
Cette tâche, dans le contexte du «Hirak», s'annonce délicate. M. Djerad va notamment devoir constituer, dans un délai non précisé, un gouvernement à même de mettre en place les nouveaux instruments de gouvernance visant à jeter les bases de la nouvelle République promise par M. Tebboune. A son crédit, Abdelaziz Djerad est un académicien reconnu par ses pairs qui dispose d'une solide connaissance des affaires internationales et de la haute administration algérienne. Diplômé de la faculté des Sciences politiques d’Alger et docteur d’Etat de l’université Paris X-Nanterre, selon sa biographie, il a déjà exercé des hautes fonctions : secrétaire général de la présidence de la République de 1993 à 1995, il a occupé la même fonction au ministère des Affaires étrangères de 2001 à 2003, lors du premier mandat d'Abdelaziz Bouteflika, qui l'avait ensuite écarté. Il a aussi été directeur de l'école nationale d'administration (ENA) d'Alger, de 1989 à 1992, et est l'auteur de plusieurs ouvrages.
Produit de l'école algérienne, sans attaches partisanes connues, le profil de ce technocrate enlève un argument majeur aux détracteurs du pouvoir, à qui il est reproché de marginaliser les compétences. Mais, dans le même temps, le mouvement de contestation, qui a obtenu en avril la démission d'Abdelaziz Bouteflika, s'est jusqu'ici montré intransigeant sur sa volonté d'obtenir le départ de l'ensemble du «système» au pouvoir ces dernières décennies.
«Nouvelle soupe»
Interrogé par l'AFP, Maassoum, un étudiant en pharmacie d'Alger, s'est montré catégorique : «ce changement de Premier ministre est illégitime vu que celui qui l'a nommé (le président Tebboune, NDLR) est illégitime», a-t-il avancé. Un de ses camarades, Amine, se dit du même avis. Le peuple «demandé une nouvelle soupe, ils ont juste changé la cuillère», commente-t-il ironiquement. Vendredi, des dizaines de milliers de personnes ont à nouveau participé à la manifestation hebdomadaire dans les rues d'Alger, la première depuis le décès le 23 décembre du général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée, qui avait de fait dirigé le pays ces derniers mois. Alors que certains Algériens s'interrogent sur la marche à suivre à la suite de l'élection d'Abdelmadjid Tebboune, ces manifestants étaient toutefois moins nombreux que les semaines précédentes. Pour tenter d'apaiser la rue, M. Tebboune a notamment promis, le jour de son élection, la mise en place d'une instance de dialogue avec le «Hirak». Mais nul ne sait à ce jour s'il reviendra au nouveau Premier ministre ou à une autre personnalité de conduire un tel dialogue.