L'Algérie a enterré mercredi, lors de funérailles dignes d'un chef de l'Etat, le puissant général Ahmed Gaïd Salah, homme fort de fait du pays ces derniers mois, qui s'était imposé en gardien du «système» au pouvoir face à un mouvement populaire massif de contestation.
Exposée toute la matinée au Palais du peuple, bâtiment d'apparat du centre de la capitale, sa dépouille, devant laquelle hauts dignitaires et citoyens se sont recueillis, a pris à la mi-journée le chemin du cimetière d'El Alia, à une dizaine de km.
Chef d'état-major depuis 2004 de l'armée algérienne, institution pilier du régime qui dirige l'Algérie depuis son indépendance en 1962, le général Gaïd Salah, décédé lundi à 79 ans d'une crise cardiaque, y a été inhumé dans l'après-midi, au sein du carré des Martyrs, où reposent les anciens chefs d'Etat et les grandes figures de la lutte contre le pouvoir colonial français.
Des milliers d'Algériens se sont rassemblés devant le Palais du Peuple et le long du parcours, durant lequel certains ont accompagné à pied le convoi, ouvert par un camion militaire et encadré par de nombreux motards de la police.
La dépouille du général était transportée sur un affût de canon tiré par un véhicule de transport de troupes blindé couvert de fleurs.
Une foule impressionnante, rarement vue pour des funérailles officielles, attendait massée aux portes du cimetière. La cérémonie était retransmise en direct par la télévision nationale, dont le coin de l'écran, barré de noir, affichait une photo martiale du défunt et un logo en arabe : «Au revoir Lion de l'Algérie».
Salve d'honneur
Dans son oraison funèbre, le général Boualem Madi, directeur de la Communication du ministère de la Défense, a salué dans le général Gaïd Salah «un héros parmi les héros de l'Algérie».
«Pas une goutte de sang n'a été versée et il a ramené l'Algérie à bon port», a-t-il déclaré, en référence à la gestion par l'armée du mouvement («Hirak») de contestation du régime qui agite l'Algérie depuis le 22 février, et à la récente présidentielle, portée à bout de bras par le général Gaïd Salah pour élire un successeur à Abdelaziz Bouteflika, poussé à la démission en avril.
«Dieu a préservé sa vie jusqu'à l'accomplissement de sa mission», a ajouté le général Madi.
Le général Gaïd Salah est décédé lundi quatre jours à peine après l'entrée en fonctions du président Abdelmadjid Tebboune, dont il était réputé proche, élu le 12 décembre lors d'un scrutin massivement boudé par les électeurs et rejeté par le «Hirak».
Le cercueil a ensuite été mis en terre, au son de la sonnerie aux morts et d'une salve d'honneur, devant un parterre de hauts responsables politiques et militaires, dont M. Tebboune, Abdelkader Bensalah, qui a assuré l'intérim après la démission de M. Bouteflika, le général Saïd Chengriha, qui assure l'intérim du chef d'état-major ou le général Benali Benali, commandant de la Garde républicaine.
Toute la matinée, le cercueil recouvert du drapeau national et entouré de quatre officiers de différents corps d'armée, avait été exposé au Palais du Peuple, ancienne résidence des gouverneurs ottomans bâtie au 18e siècle, devenue lieu de manifestations et cérémonies officielles de l'Etat algérien.
Y reposait sur un coussin le collier de «Sadr» dans l'Ordre national du Mérite, une dignité réservée habituellement aux chefs de l'Etat, à laquelle l'avait élevé M. Tebboune, lors de son investiture le 19 décembre, dernière apparition publique du général Gaïd Salah.
Maître du pays
Chef d'état-major de l'armée durant 15 ans --un record--, promu en outre vice-ministre de la Défense depuis 2013, le général Gaïd Salah était apparu ces derniers mois comme le gardien du «système» au pouvoir face au «Hirak».
Durant plus de huit mois, il s'est affiché comme le maître du pays, donnant ses instructions à un pouvoir civil éteint depuis la démission d'Abdelaziz Bouteflika, et fut le visage public du haut commandement militaire, plus habitué à exercer son pouvoir en coulisses, derrière une façade civile.
Nommé à ses postes par le président Bouteflika, le général Gaïd Salah fut jusqu'en avril d'une loyauté sans faille envers celui qui l'avait fait roi, avant de le sacrifier brutalement à la contestation.
Son nom était conspué ces derniers mois dans les manifestations, tant pour la répression contre le «Hirak» que pour son acharnement à organiser une présidentielle vue par les contestataires comme un artifice permettant la survie du «système» dont ils exigent toujours le démantèlement.
A la télévision nationale, les commentateurs ont évoqué «un hommage exceptionnel pour un homme exceptionnel» qui a «inscrit son nom en lettres d'or dans l'histoire de l'Algérie».