La repression des manifestations chiliennes par l'armée a déjà causé la mort de dix-huit personnes. Aujourd'hui sous le feu des projecteurs, l'armée chilienne porte encore la marque de l'influence de son homologue allemande du XXe siècle.
En regardant les images en provenance du Chili, la ressemblance est frappante.
© Pedro Ugarte / AFP
Sur la photo ci-dessus, le casque du militaire chilien est une replique du «Stahlhelm (casque en allemand, ndlr)», symbole militaire de l'armée allemande du XXe siècle. Apparu pour la première fois lors de la Première Guerre mondiale dans les tranchées, le casque allemand est, à l'époque, un concentré de modernité ; sa forme particulière permet de protéger le propriétaire du casque des éclats d'obus.
Le fait de le retrouver aujourd'hui sur la tête des militaires chiliens n'est pas anecdotique. Il permet de se rappeler, pour les uns, d'apprendre, pour les autres, que l'armée allemande a participé à la professionnalisation de son homologue latino-américaine à l'orée du XXe siècle.
Une «Deutsche Qualität» enviée
Dans l'article «L'armée chilienne et les instructeurs allemands en Amérique latine (1885-1914)» de Jean-Pierre Blancpain, publié dans la Revue historique, l'auteur décortique les ressorts de l'influence militaire allemande au Chili. En 1870, l'empire allemand sort vainqueur de la guerre contre la France et le succès rejaillit sur le prestige de son armée. Fort de cette réputation, Emil Koerner, jeune officier allemand, débarque sur les côtes andines quinze ans plus tard dans le but de former les troupes chiliennes jugées indisciplinées et irresponsables. Il devait rester cinq ans, il en fera vingt-cinq.
Dans le sens inverse, des Chiliens partent s'imprégner du professionalisme allemand en Europe. Ils en reviennent conquis, convaincus que la sacro-sainte rigueur allemande et la «Deutsche Qualität» de son armée sont les remèdes adéquats pour l'armée du pays, en mal de moyens et de cadre. Cette «germanisation» va très loin : introduction du matériel allemand et apprentissage de la langue obligatoire ; quitte parfois à tomber dans la singerie : «la plupart de leurs chants militaires (du Chili, ndlr) ne sont que les traductions mot pour mot des plus vieux chants de l'armée prussienne», écrit Blancpain en 1991 dans son ouvrage.
Les ventes d'armes suivent également : «Les parades chiliennes sont des revues de matériel et d'équipement allemand : en 1912, les livraisons d'armes à Santiago excèdent 50 millions de mark», continue l'auteur.
Finalement c'est peut-être l'auteur chilien de gauche Alejandro Venegas qui décrit mieux le phénomène dans son ouvrage «Sinceridad», cité par Blancpain : «L'armée chilienne singe les Allemands, la moustache relevée menaçant l'œil, le casque flamboyant au soleil, le sabre traînant dans la poussière, la main frappant jusqu'à la botte, le pas de l'oie achevant le style. (...). Ce sont des transfuges, des imitateurs, des opportunistes qui font aujourd'hui l'armée».
Inspiré par ISRaEL ET La france
Dans le Chili de 2019 du président Sebastian Pinera, les imitateurs sont les mêmes, les imités, eux, sont radicalement différents. Comme le révèle Independant, l'armée chilienne s'inspire aujourd'hui de l'armée... israélienne. Les deux pays ont même signé un accord de coopération militaire en 2018. «Ces dernières années, l’armée israélienne a apparemment utilisé une tactique consistant à mutiler les manifestants palestiniens au lieu de les tuer. (...) Au cours de la semaine dernière, cette tactique israélienne a été utilisée contre des civils chiliens à plusieurs reprises», écrit le média anglais.
Les chiffres au Chili sont éloquents : «Depuis le début des troubles, le 18 octobre, dix-huit personnes sont mortes, dont cinq tuées par des tirs des forces de l'ordre, selon des chiffres officiels. L'Institut national des droits humains (INDH) a recensé 584 personnes blessées, dont 245 par armes à feu», rapporte l'AFP.
Mais les autorités chiliennes se nourissent également de ce qui se fait en France pour justifier les actions de l'armée. Voici la comparaison, certes outrancière, utilisée le 21 octobre, par le sénateur chilien Galilea Vial à la tribune du Sénat : «Dans un pays comme la France, le président Macron a eu à recourir à la police et à utiliser l'armée (durant la crise des Gilets jaunes, ndlr). Personne n'aime faire ça, mais il fallait le faire. C'est pareil pour le président Pinera, parce que son devoir fondamental est la sécurité du pays. Il va devoir le faire, dans les limites bien sûr requises.»