Les forces russes ont atteint mercredi la frontière syro-turque, où elles ont été déployées pour s'assurer du départ de toutes les forces kurdes d'une longue zone frontalière, en application d'un accord conclu la veille entre Moscou et Ankara.
Le président américain Donald Trump a assuré qu'un «grand succès» avait été remporté en Syrie avec la création de cette «zone de sécurité» à la frontière avec la Turquie. Il a annoncé dans la foulée la levée des sanctions imposées mi-octobre à Ankara après le lancement de son offensive militaire contre les Kurdes dans le nord de la Syrie.
Un correspondant de l'AFP a vu en début de soirée plusieurs véhicules blindés arborant des drapeaux russes entrer dans la ville frontalière syrienne de Kobané, une localité de l'extrême nord tenue jusqu'à ces derniers jours par les forces kurdes.
Le ministère russe de la Défense a indiqué dans un communiqué que les patrouilles de ses soldats étaient sur le point de débuter dans la ville.
Les troupes russes, déjà présentes en Syrie où elles appuient l'armée du président Bachar al-Assad, avaient franchi dans l'après-midi l'Euphrate, le grand fleuve qui traverse le nord du pays en guerre, en direction de la frontière qui s'étend sur plusieurs centaines de km.
Lors d'une rencontre mardi à Sotchi, en Russie, le président Vladimir Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan ont conclu un «memorandum» visant au retrait total des forces kurdes de la zone et au contrôle commun d'une large partie de la frontière turco-syrienne.
Cet accord signe la défaite des Forces démocratiques syriennes (FDS), -dont la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) est l'épine dorsale-, qui avaient largement aidé la coalition internationale menée par Washington à vaincre le groupe jihadiste Etat islamique (EI).
Salué comme «historique» par M. Erdogan, l'accord sonne le glas des volontés d'autonomie des Kurdes, le cauchemar d'Ankara.
«Génocide»
Mercredi, des scènes de colère et de désespoir se déroulaient à Qamichli, une ville frontalière du nord-est de la Syrie, considérée comme la capitale de facto des Kurdes syriens et qui a été exclue par l'accord sur la «zone de sécurité».
La ville abrite plusieurs dizaines de milliers de civils, dont de nombreux déplacés, et la situation y est déjà très précaire.
Des centaines d'habitants ont manifesté en criant des slogans hostiles au pouvoir turc, ont constaté des journalistes de l'AFP. Une pancarte comparait l'Etat turc à l'EI.
«Les occupants turcs ont lancé un génocide contre notre peuple et veulent changer la démographie de la région», affirmait Salman Sheikhi, un manifestant de 50 ans.
La Turquie a affirmé vouloir renvoyer dans la «zone de sécurité» une partie des 3,6 millions de réfugiés syriens qui se trouvent sur son sol.
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), une voiture piégée a explosé mercredi près d'un magasin de téléphonie de Qamichli, sans faire de victime, et le reste de la zone frontalière est restée globalement calme.
La Turquie avait lancé le 9 octobre une offensive contre les YPG, un groupe qu'elle qualifie de «terroriste», après avoir reçu un feu vert de facto du président Trump qui a retiré ses troupes du secteur. Selon un haut responsable américain, plus de 100 prisonniers de l'EI se sont échappés en Syrie depuis le début de cette offensive.
M. Erdogan avait annoncé le 17 octobre une trêve de cinq jours qui s'est achevée mardi soir.
Conformément à sa demande pour prolonger le cessez-le-feu, les FDS ont annoncé à temps le retrait de «tous (leurs) combattants» d'une zone d'une longueur de 120 km entre les villes de Tal Abyad et Ras al-Aïn.
«Pas totalement confiance»
Ankara avait interrompu son offensive après un accord avec Washington prévoyant le retrait des YPG de cette zone. Mais la Turquie veut s'assurer que les forces kurdes quittent l'ensemble de la zone frontalière.
Aux termes de l'accord de Sotchi, Moscou doit s'assurer du retrait des YPG des portions restantes de la frontière turque comprises entre l'Euphrate et l'Irak voisin de la Syrie.
Dans le même temps, les troupes du régime syrien se renforcent elles aussi dans la zone frontalière. Appelées à l'aide par les forces kurdes lâchées par les Américains, elles peuvent ainsi renforcer leur emprise sur les parties du territoire qui lui échappent encore.
Ankara a dit compter sur Moscou pour mettre en oeuvre l'accord de Sotchi, ajoutant n'avoir «pas totalement confiance» dans le régime de Damas. Le texte prévoit que Russes et Syriens oeuvreront ensemble «pour faciliter le départ» de tous les combattants des YPG et de leurs armes.
La Turquie, qui soutient des groupes rebelles opposés à Bachar al-Assad, redoute notamment que le régime de Damas permette aux forces kurdes de rester dans certaines zones.